PIERRE PELOT :
LES TRACES DU CADRE LORRAIN
DANS SES FICTIONS ROMANESQUES
Aux antipodes de l’écrivain « régionaliste », Pierre Pelot, « né et vivant toujours » dans la vallée de la Haute-Moselle, avoue cependant son attachement pour ce pays d’arbres et de montagnes « au dos rond », bien présent dans de nombreuses fictions. C’est là qu’il conçoit et écrit ses histoires, parfois arrachées « au bec des corbeaux ».
UNE ŒUVRE POLYMORPHE
Avant d’aborder le vif du sujet, des précisions s’imposent sur l’œuvre de Pierre Pelot.
Il écrit des romans westerns au début de 1966, dès La Piste du Dakota, juste avant la série Dylan Stark, forte d’une vingtaine de récits. Il y eut d’autres romans « américains ». Ce n’est qu’après avoir écrit près d’une trentaine de récits que Pelot introduit des aspects du cadre lorrain, dès 1972 avec Les Etoiles ensevelies et dans les romans contemporains pour adolescents, par exemple, Le Pain Perdu, Le Coeur sous la cendre (1974). Peu à peu, Pelot a appris à regarder autour de lui, à se débarrasser de l'exotisme du western pour parler directement de ce qui l’entourait.
Parallèlement paraissent une soixantaine de romans de science-fiction ou de récits fantastiques, des cycles ou séries de S-F. Pelot diversifie les genres en abordant polars, thrillers, romans noirs, tel L’Eté en pente douce (1980). Ajoutons les récits de « paléofiction », dont la fameuse saga en 5 tomes, Sous le vent du monde (1997-2001). Outre des novélisations (comme Hanuman ou Le Pacte des loups) et des scénarios de films, de téléfilms, de bandes dessinées (H.A.N.D.), d’émissions de radio, quelques pièces de théâtre, l’écrivain est entré dans la littérature générale, ce qui signifie seulement que des romans, publiés dès la fin des années 80, ont assez de succès pour que l’œuvre de Pelot échappe aux étiquettes et élargisse son lectorat.
Ces romans s’inscrivent dans un cadre lorrain, depuis Ce soir les souris sont bleues (1994) jusqu’à Méchamment dimanche (2005) ou partiellement L’ombre des voyageuses (2006), en passant par l’incontournable C’est ainsi que les hommes vivent en 2003.
Pierre Pelot a publié à ce jour 180 romans appartenant à tous les genres. Dès lors, il faut avouer que l’on se soumet d’abord à un double réflexe de réduction quand on veut évoquer dans son œuvre les indices d’un cadre historique ou géographique lorrain et quand on leur donne plus d’importance que l’intrigue des récits d’un « raconteur d’histoires ».
Moins du quart des romans empruntent à la Lorraine ou à ses franges comtoises et alsaciennes des éléments dans une partie ou la totalité du récit. Une quinzaine paraissent dans des collections pour la jeunesse, une trentaine dans les collections pour adultes.
UN CADRE LORRAIN QUI GARDE UN INTERET ROMANESQUE AUJOURD'HUI
Surtout depuis la publication remarquée en 2003 de C’est ainsi que les hommes vivent, et déjà depuis une vingtaine d’années, nul n'est censé ignorer le fait.
Dès 1987, il y eut Elle qui ne sait pas dire je, traversée des Vosges du Sud au Nord, de « La Montagne », petit bourg de la Haute-Saône, aux petits hameaux du nord de Baccarat, en passant par Remiremont. Puis, Si loin de Caïn (1988) emmène le lecteur de la vallée de la Haute-Moselle jusqu'à un chantier de bûcheronnage près de Servance.
LES TRACES DU CADRE LORRAIN
DANS SES FICTIONS ROMANESQUES
Aux antipodes de l’écrivain « régionaliste », Pierre Pelot, « né et vivant toujours » dans la vallée de la Haute-Moselle, avoue cependant son attachement pour ce pays d’arbres et de montagnes « au dos rond », bien présent dans de nombreuses fictions. C’est là qu’il conçoit et écrit ses histoires, parfois arrachées « au bec des corbeaux ».
UNE ŒUVRE POLYMORPHE
Avant d’aborder le vif du sujet, des précisions s’imposent sur l’œuvre de Pierre Pelot.
Il écrit des romans westerns au début de 1966, dès La Piste du Dakota, juste avant la série Dylan Stark, forte d’une vingtaine de récits. Il y eut d’autres romans « américains ». Ce n’est qu’après avoir écrit près d’une trentaine de récits que Pelot introduit des aspects du cadre lorrain, dès 1972 avec Les Etoiles ensevelies et dans les romans contemporains pour adolescents, par exemple, Le Pain Perdu, Le Coeur sous la cendre (1974). Peu à peu, Pelot a appris à regarder autour de lui, à se débarrasser de l'exotisme du western pour parler directement de ce qui l’entourait.
Parallèlement paraissent une soixantaine de romans de science-fiction ou de récits fantastiques, des cycles ou séries de S-F. Pelot diversifie les genres en abordant polars, thrillers, romans noirs, tel L’Eté en pente douce (1980). Ajoutons les récits de « paléofiction », dont la fameuse saga en 5 tomes, Sous le vent du monde (1997-2001). Outre des novélisations (comme Hanuman ou Le Pacte des loups) et des scénarios de films, de téléfilms, de bandes dessinées (H.A.N.D.), d’émissions de radio, quelques pièces de théâtre, l’écrivain est entré dans la littérature générale, ce qui signifie seulement que des romans, publiés dès la fin des années 80, ont assez de succès pour que l’œuvre de Pelot échappe aux étiquettes et élargisse son lectorat.
Ces romans s’inscrivent dans un cadre lorrain, depuis Ce soir les souris sont bleues (1994) jusqu’à Méchamment dimanche (2005) ou partiellement L’ombre des voyageuses (2006), en passant par l’incontournable C’est ainsi que les hommes vivent en 2003.
Pierre Pelot a publié à ce jour 180 romans appartenant à tous les genres. Dès lors, il faut avouer que l’on se soumet d’abord à un double réflexe de réduction quand on veut évoquer dans son œuvre les indices d’un cadre historique ou géographique lorrain et quand on leur donne plus d’importance que l’intrigue des récits d’un « raconteur d’histoires ».
Moins du quart des romans empruntent à la Lorraine ou à ses franges comtoises et alsaciennes des éléments dans une partie ou la totalité du récit. Une quinzaine paraissent dans des collections pour la jeunesse, une trentaine dans les collections pour adultes.
UN CADRE LORRAIN QUI GARDE UN INTERET ROMANESQUE AUJOURD'HUI
Surtout depuis la publication remarquée en 2003 de C’est ainsi que les hommes vivent, et déjà depuis une vingtaine d’années, nul n'est censé ignorer le fait.
Dès 1987, il y eut Elle qui ne sait pas dire je, traversée des Vosges du Sud au Nord, de « La Montagne », petit bourg de la Haute-Saône, aux petits hameaux du nord de Baccarat, en passant par Remiremont. Puis, Si loin de Caïn (1988) emmène le lecteur de la vallée de la Haute-Moselle jusqu'à un chantier de bûcheronnage près de Servance.
(Fig. 1 : Premières éditions de romans « vosgiens », Cliché R. Perrin)
Dans Le 16e round (1990), un boxeur septuagénaire affronte l'échéance finale dans une maison proche du village de Fresse-sur-Moselle. C'est aussi un destin tragique qui attend Catherine Tolviac : Une Jeune fille au sourire fragile (1988) qui débarque en novembre sur le quai de la « minuscule gare » de « Ramont », entre Remiremont et Bussang.
Début 1994, Ce soir, les souris sont bleues, « Une histoire d'autochtones et de touristes», survient dans un écart du village de l'auteur, rebaptisé le val de Goutte Cerise.
Petit éloge de l’enfance (chez « Folio », Gallimard en 2007) extrait de ce récit, Cinq-Six-Mouches, le jeune « galichtré » parti faire une fugue, (croit-il en Haute-Saône mais il ne dépasse pas un étang de la vallée de Presles), pour photographier des hérons.
Il arrive que la lucidité du personnage principal, celle de François Dorelli dans Une autre saison comme le printemps (1994), jette une lumière crue contemporaine sur le village emblématique :
« Il regardait le village (…) et les nouvelles constructions hideuses. Des voitures et les premiers camions de la circulation routière quotidienne roulaient sur la route nationale. Il n’y avait personne devant les maisons, fort peu de piétons dans les rues visibles du village (…) ». (Une situation qui n’a fait qu’empirer depuis).
D’ailleurs, en 1992, dans Colère de renard, Pelot écrivait : « Je me souviens d'un temps, (…) pas si lointain, où mon village avait encore visage regardable (...) où cette vallée, protégée par les montagnes assises comme de grands chiens tranquilles, était belle. »
Inutile pourtant de plaquer sur Pelot le cliché de l'écrivain régionaliste.
« TOUT, SAUF UN ECRIVAIN REGIONALISTE »
Le personnage romancier de Natural Killer (1985) qui n’a « pas voulu quitter Utah-sur-Vosges » se plaint : « Ils sont venus ensuite me parler de « mes racines vosgiennes », de mon « attachement au pays ». Si le romancier se reconnaît des racines, - aux antipodes du nationalisme barrésien -, cet homme volontiers anarchiste admettra tout au plus son identité de « terrien » et de « montagnard ».
Jean-Paul Germonville, le rappelait dans L'Est Républicain, publié le 8-8-88, (en hommage aux Vosges) : « Pelot est tout, sauf un écrivain régionaliste. Son goût de la liberté et son horreur viscérale de la simple notion de frontières l'ont toujours éloigné de ce type de préoccupation. »
Alors, pourquoi Pelot a-t-il évoqué les Vosges ? En 1976, il avoue : « Il m'était complètement impossible de décrire un paysage d'ici mais j'étais dans les Montagnes Rocheuses avec une facilité incroyable ». Quand Marabout interrompt les Dylan Stark, paraît en 1972, le premier roman vosgien, Les Etoiles ensevelies. Cette transposition d'un synopsis pour Dylan Stark, permet au paysage du Nouveau Mexique de faire place aux crêtes semées d'étangs de la Haute-Saône enneigée. Dylan Stark est remplacé par un émigré espagnol et un jeune Indien par un enfant comtois fugueur.
DES INCURSIONS DANS LE PASSE
Si, dans la plupart des récits « vosgiens », l'époque décrite est souvent contemporaine de l'histoire, il y a des incursions dans un passé géologique lointain. Donnons un exemple.
Suicide, au huis clos infernal dans une ferme vosgienne, évoque avec le lyrisme des meilleurs géographes la naissance des montagnes :
« Il y avait quelques millions d'années de cela, la Terre avait fait le gros dos. Elle avait frissonné, gémi, hurlé dans les douleurs d'un fantastique enfantement. (…). des montagnes avaient grandi tout comme d'autres s'étaient transformées en vastes plaines. Ainsi s'étaient dressées les Vosges, comme d'autres plissements tout aussi vieux, tout aussi vénérables (...) ». Et Pelot d'évoquer alors les hommes qui vivent dans les vallées, « cicatrices du grand chambardement ».
La Peau de l'orage (1973), roman fantastique qui mêle passé et présent, fait revivre la naissance du village montagnard sur les Braqueux, au XVIIIe siècle. « En pleine forêt, ceux qui dressèrent les maisons, dans le début, étaient des équipes de bûcherons suédois. Les bûcherons ont trouvé femmes dans les villages des alentours, ils ont fait souche et se sont fixés. Ensuite sont venus les charbonniers, souvent avec femmes et enfants. Puis, plus tard, des vanniers de n'importe où qui se fixèrent là. »
Le grand oeuvre C’est ainsi que les hommes vivent développera davantage l’existence de ces mineurs et de ces charbonniers qui donneront leur nom à la vallée. Ce village, déguisé en Vizentine-sur-Agne, dans Je suis la mauvaise herbe (1975), revit les années 1920 à travers le destin d'un colporteur hors du commun.
Début 1994, Ce soir, les souris sont bleues, « Une histoire d'autochtones et de touristes», survient dans un écart du village de l'auteur, rebaptisé le val de Goutte Cerise.
Petit éloge de l’enfance (chez « Folio », Gallimard en 2007) extrait de ce récit, Cinq-Six-Mouches, le jeune « galichtré » parti faire une fugue, (croit-il en Haute-Saône mais il ne dépasse pas un étang de la vallée de Presles), pour photographier des hérons.
Il arrive que la lucidité du personnage principal, celle de François Dorelli dans Une autre saison comme le printemps (1994), jette une lumière crue contemporaine sur le village emblématique :
« Il regardait le village (…) et les nouvelles constructions hideuses. Des voitures et les premiers camions de la circulation routière quotidienne roulaient sur la route nationale. Il n’y avait personne devant les maisons, fort peu de piétons dans les rues visibles du village (…) ». (Une situation qui n’a fait qu’empirer depuis).
D’ailleurs, en 1992, dans Colère de renard, Pelot écrivait : « Je me souviens d'un temps, (…) pas si lointain, où mon village avait encore visage regardable (...) où cette vallée, protégée par les montagnes assises comme de grands chiens tranquilles, était belle. »
Inutile pourtant de plaquer sur Pelot le cliché de l'écrivain régionaliste.
« TOUT, SAUF UN ECRIVAIN REGIONALISTE »
Le personnage romancier de Natural Killer (1985) qui n’a « pas voulu quitter Utah-sur-Vosges » se plaint : « Ils sont venus ensuite me parler de « mes racines vosgiennes », de mon « attachement au pays ». Si le romancier se reconnaît des racines, - aux antipodes du nationalisme barrésien -, cet homme volontiers anarchiste admettra tout au plus son identité de « terrien » et de « montagnard ».
Jean-Paul Germonville, le rappelait dans L'Est Républicain, publié le 8-8-88, (en hommage aux Vosges) : « Pelot est tout, sauf un écrivain régionaliste. Son goût de la liberté et son horreur viscérale de la simple notion de frontières l'ont toujours éloigné de ce type de préoccupation. »
Alors, pourquoi Pelot a-t-il évoqué les Vosges ? En 1976, il avoue : « Il m'était complètement impossible de décrire un paysage d'ici mais j'étais dans les Montagnes Rocheuses avec une facilité incroyable ». Quand Marabout interrompt les Dylan Stark, paraît en 1972, le premier roman vosgien, Les Etoiles ensevelies. Cette transposition d'un synopsis pour Dylan Stark, permet au paysage du Nouveau Mexique de faire place aux crêtes semées d'étangs de la Haute-Saône enneigée. Dylan Stark est remplacé par un émigré espagnol et un jeune Indien par un enfant comtois fugueur.
DES INCURSIONS DANS LE PASSE
Si, dans la plupart des récits « vosgiens », l'époque décrite est souvent contemporaine de l'histoire, il y a des incursions dans un passé géologique lointain. Donnons un exemple.
Suicide, au huis clos infernal dans une ferme vosgienne, évoque avec le lyrisme des meilleurs géographes la naissance des montagnes :
« Il y avait quelques millions d'années de cela, la Terre avait fait le gros dos. Elle avait frissonné, gémi, hurlé dans les douleurs d'un fantastique enfantement. (…). des montagnes avaient grandi tout comme d'autres s'étaient transformées en vastes plaines. Ainsi s'étaient dressées les Vosges, comme d'autres plissements tout aussi vieux, tout aussi vénérables (...) ». Et Pelot d'évoquer alors les hommes qui vivent dans les vallées, « cicatrices du grand chambardement ».
La Peau de l'orage (1973), roman fantastique qui mêle passé et présent, fait revivre la naissance du village montagnard sur les Braqueux, au XVIIIe siècle. « En pleine forêt, ceux qui dressèrent les maisons, dans le début, étaient des équipes de bûcherons suédois. Les bûcherons ont trouvé femmes dans les villages des alentours, ils ont fait souche et se sont fixés. Ensuite sont venus les charbonniers, souvent avec femmes et enfants. Puis, plus tard, des vanniers de n'importe où qui se fixèrent là. »
Le grand oeuvre C’est ainsi que les hommes vivent développera davantage l’existence de ces mineurs et de ces charbonniers qui donneront leur nom à la vallée. Ce village, déguisé en Vizentine-sur-Agne, dans Je suis la mauvaise herbe (1975), revit les années 1920 à travers le destin d'un colporteur hors du commun.
(Voir plus haut, Fig. 2 : Parmi les premiers romans « vosgiens » dans les collections juvéniles, Cliché R. Perrin)
Grâce à Bastien, l'ouvrier retraité qui, Le Cœur sous la cendre, se souvient, on plonge dans un temps un peu plus reculé, celui « d'avant 1914, alors que la frontière passait à quelques kilomètres du col de Bussang, et que les vieux, aux veillées, racontaient des histoires de contrebandiers. »
On bondit de vingt ans avec Paulin, lorsque s'apprêtent à tomber Les Neiges du coucou (1976). Paulin se souvient de 1936, « quand l'usine a fermé ses portes, quand les patrons renvoyèrent les syndicalistes, (...) quand lui chantait, l'Internationale, gamin. ». « On coupait les arbres à la hache et au passe-partout. On débardait avec les bœufs. Les scieries (...) chantaient la chanson du haut-fer. »
RONDEURS, BOSSES ET PENTES DOUCES, DES CONSTANTES DU PAYSAGE VOSGIEN PELOTIEN
Ce qui fascine le regard du narrateur, c'est la montagne qui lui fait face chaque matin. Celle que Bastien observe dans Le Cœur sous la cendre : « Des montagnes rondes, bossues, des montagnes à sapins, pareilles à toutes les autres qui cernent la vallée. Mais (...) tellement proches (...) comme si, brutalement, il leur venait des ambitions de Mont Blanc ».
Ce qui est constant, c'est la notion, (toute féminine et sensuelle), de rondeur ou de rotondité, Ces formes attendrissantes inspirent l'image des « montagnes aux pentes douces qui enfermaient les vallées » ainsi que les observe Une jeune fille au sourire fragile. Dans Fou comme l'oiseau (1980), « le chemin sciait en pente douce tout le coteau du Bas-Haut » et la même image s'impose plusieurs fois, évidemment, dans L'Eté en pente douce, titre astucieux, voire génial, qui naît autant du sens poétique que de l'observation des paysages.
Ce qui rompt l’harmonie des courbes et des lignes douces, ce ne sont ni « les murets, les barrières de pierres sèches », qui délimitent les essarts et les champs de pâture, ni les « quelques grappes de maisons-jouets ». Ce sont plutôt « les usines (...) avec leurs toits en dents de scie qui grinçaient dans le paysage, avec leurs hautes cheminées de briques, comme des pieux dans le cœur de la bête ». C'est du moins l'opinion de Paulin dans Les Neiges du coucou.
Un montagnard ne peut envisager la description d'un massif sans imaginer son ascension. Prenons le seul exemple du fameux Ballon d'Alsace gravi en fait, par l'écriture, à toutes les saisons. Au printemps, c'est Chip, Fou comme l’oiseau, qui escalade la longue route en voiture. La neige est encore présente : « elle bordait chaque côté de la route en lacets de hauts bourrelets durs, gelés... ». La récompense, c'est la vision du sommet : « La crête, tranchée net comme par un coup de sabre gigantesque, était vierge de toute espèce de végétation de taille humaine ».
LE VILLAGE DE SAINT-MAURICE-SUR-MOSELLE, NOMME, CACHE OU REBAPTISE...
Dans Elle qui ne sait pas dire je, on rencontre ce malicieux dialogue (p. 87) :
« - C'est où que vous habitez ?
Il le lui dit.
Elle demanda :
- C'est où, A côté de quelle ville ?
Il le lui dit.
Ensuite, elle garda le silence. »
Pelot aime jouer à cache-cache avec les noms de lieux, en particulier avec celui de son village qu'il rebaptise Vizentine-sur-Agne, les Deux Ballons, Les Fenaisces ou Saint-Bernard-du-Vallon, Le Cratère ou le Village du Bord, Saint-Mihiel ou Saint Hiel. On trouve aussi Vize-sur-Agne, Maur-sur-Agne ou Saint-Benoît-sur-Agne, des noms qui rappellent qu’il s’agit bien de fictions.
Si Saint-Maurice est clairement nommé dans Le Pain perdu et Le Cœur sous la cendre ou Ce soir, les souris sont bleues, le hameau est évoqué sans être cité, ou remplacé par un nom d'emprunt ou décrit par le truchement d'un lieu-dit dans une vingtaine d'ouvrages. Seule une connaissance géographique de la Haute-Moselle, (et encore ! ), permet de retrouver la colline du Braqueux, la vallée de la goutte du Rieux ou les roches de Morteville.
Voir, plus haut, Fig. 3 : Le village en étoile de Pierre Pelot, cliché R. Perrin.
UN LIEU SYMBOLIQUE : LA GARE
S’il est un lieu mythique pour le romancier, voyageur immobile - c'est bien la petite gare du village -. exemple symbolique qui témoigne de l'inexorable dégradation d'une région déclinante au fil des ans.
Voir, plus haut, Fig. 4 : a, b, c, Métamorphoses d’une petite gare, Clichés R. Perrin
Comme elle était vivante pourtant, cette gare quand « les seuls bruits [qui] montaient venaient de la halle (…), où des voituriers devaient charger un wagon : on entendait cogner les quartiers de bois et les billes sur le fond métallique ou contre les parois ». Mais c'était en 1920, au temps du colporteur Brice Gallet !
En 1974, Lou Carmaux, à la recherche du Pain perdu, observe la gare quittée douze ans plus tôt. C'est « la même quoique peut-être plus écaillée dans son maquillage jauni ». Deux ans plus tard, Lorrain, Le Pantin immobile et voyageur clandestin remarque « Le quai. Vide et blanc. La gare elle-même, avec son crépi de façade qui fichait le camp par grosses plaques ». « le panonceau frontal » a disparu. « Mais l'horloge ronde était encore là. »
En 1983, pour les voyageurs de La Nuit sur terre, c'est un triste spectacle : « La gare de Saint Hiel n'était plus en fonction. Elle se trouvait au nombre des sacrifiées sur la ligne Remiremont-Bussang, pour cause de non-rentabilité (...) ». En plus du panneau frontal, on a arraché « la grosse horloge ronde ... Des particuliers (…) avaient acheté le bâtiment de la gare pour en faire une résidence secondaire (...) ».
Depuis le 27 mai 1989, quand roula « le dernier des trains », on vit les mauvaises herbes et les arbustes pousser sur le ballast délesté des voies rouillées. (Fig. 2 : La voie désaffectée, cliché R. Perrin). Ensuite, vint la voie verte. Pelot n’a pas le cœur de poursuivre sa chronique après ces transformations irréversibles même si la gare réapparaît, contre toute attente, en 2007, dans Les Normales saisonnières bretonnes. L’essentiel n’était-il pas de faire de la gare le lieu symptomatique de la décrépitude inexorable de la région ?
L’usine textile aurait-elle pu remplir la même fonction ? On pourrait le croire en écoutant le vieux Caron, descendant d’un pionnier déchu, dans Les Caïmans sont des gens comme les autres (1996) : « Il y avait des usines un peu partout dans cette vallée et les environnantes sur le bord des rivières. Des tissages. Les trois quarts de gens travaillaient dans les usines, ça roulait plein pot, ça glissait comme sur du velours. Maintenant que tout se déglingue un peu partout, c’est dur d’imaginer une telle situation. Forcément. »
UNE ECRITURE SOUVENT VOUEE A LA PEINTURE DU MICROCOSME
En 1987, Pelot déclare : « Je me suis finalement rendu compte que le monde entier était à ma porte, dans les gens, la vie qui m'entourent. (…). Faulkner disait qu'il n'aurait pas assez de toute son existence pour s'occuper du petit timbre-poste que représente sa contrée. »
Au lecteur avide d'en savoir plus de recenser les notations sur les scieries où ont cessé « la chanson du haut-fer » et son « va-et-vient saccadé », sur les « cités » ouvrières aux « mêmes façades écaillées que l'on repeint tous les cinq ans aux frais de l'usine », « avec leurs ramées protectrices de vieilles plaques de fibrociment ».
Au patient géographe, laissons le souci de situer les « vallées secondaires » du village, les collines, les ballons, les étangs mystérieux et les rares lacs.
Pour résumer l’aspect du village, il suffit de prendre un peu de recul et de hauteur grâce aux Pauvres zhéros (1982) [magnifiquement adapté depuis en bande dessinée par Baru] : « Le village, vu du ciel, rappelait la forme d'une étoile à cinq branches. Il avait poussé au point de rencontre des vallées et s'était étendu, semant ses maisons le long des cours d'eau, toujours plus haut vers la source. La plus forte concentration d'habitations suivait bien sûr la vallée principale de la Moselle, (à peine rivière), et les axes jumeaux de la route et de la voie ferrée ».
Il est aisé d'identifier les cinq branches de l'étoile : deux sont constituées par le cours amont de la Moselle et le bras en aval. Les trois autres sont données dans Suicide : « La Feigne [ou Faigne], Presles, les Charbonniers » [ou vallée de l'Agne], cette dernière se subdivisant elle-même en vallées secondaires. Cette immense vallée ramifiée est la préférée du romancier. Ne lui a-t-elle pas fourni ses deux pseudonymes de Suragne et de Carbonari ?
Mais si l'on y suit Bastien pour découvrir « Les Feignes », on arrive dans la triste « réserve ». C'est là qu'échouent les retraités parqués pour céder leurs logements ensoleillés du centre du bourg à des ouvriers encore productifs Cet écart n'est qu’une partie de l'immense vallée des Charbonniers, dominée par « les masses rondes et boisées » des Braqueux.
Dans le récit fantastique, La Peau de l'orage, c'est sur cette éminence que l'on situe le premier hameau : « Il y a (...) deux cents années pour le moins, alors que la vallée était vide de village, nue comme ma main, c'était là-haut, sur les Braqueux, qu'il était le village. (...) »
GENESE DU « GRAND OEUVRE »
Et cette histoire tient tellement à cœur à Pelot qu'il a envisagé, depuis vingt ans et surtout depuis 1994, d'écrire l'immense saga, du XVIIe siècle à nos jours, d'une famille d'origine suédoise installée en ces lieux. Le projet mûrit lentement, se modifie et nécessite un énorme travail d’archives, doublé de patientes recherches linguistiques et historiques. Il est interrompu par la rédaction des cinq tomes de la saga Sous le vent du monde, et par l’accident cardiaque dont Pelot est victime après la tempête de décembre 1999. L’aboutissement est, après deux années d’écriture, le long récit : C’est ainsi que les hommes vivent, publié en août 2003. Ce roman de plus de 1100 pages est une longue enquête entreprise en 1999, sur des faits tragiques qui se sont déroulés au XVIIe siècle. L’essentiel est dans l’insertion de personnages originaux et surprenants, « désensevelis » de l’Histoire de la Lorraine et suivis dans leurs métamorphoses identitaires, aventureuses et douloureuses. Pelot développe deux trames parallèles dans deux univers historiquement très différents, celui des intrigues et des troubles du duché de Lorraine au XVIIe siècle et l’époque contemporaine, non moins exempte de turpitudes.
Au début du XVIIe siècle, une paysanne lorraine est brûlée comme sorcière, après avoir donné naissance à un garçon, Dolat, recueilli par les dames chanoinesses de l’abbaye de Remiremont. Apolline d’Eaugrogne, issue de la haute noblesse, devient sa jeune « marraine ». Elevés ensemble, ils vivront une relation passionnée mais Dolat, à douze ans, quitte l’abbaye. Adopté par « Maman Claudon », il devient l’apprenti d’un apiculteur. Dénoncée pour complot contre Catherine de Lorraine, contrainte de fuir vers la Franche Comté, Apolline appelle Dolat à son secours. Les amants traqués se réfugient dans les forêts, au-dessus de Saint-Maurice. La Guerre de Trente ans les sépare...
En 1999, le journaliste Lazare Grosdemange, rescapé d’une attaque cardiaque malmenant sa mémoire, revient dans son village de Saint-Maurice où sa mère vient de mourir. Ce deuil le conduit à fouiller les archives familiales et locales, à entreprendre une enquête historique qui le mène sur les traces d’un ancêtre bagnard et sur la piste d’un trésor lié à l’aventure de Dolat et d’Apolline...
Des investigations pointues permettent de reconnaître, dans d’autres récits, Le Thillot et Remiremont, qui ont en commun leurs rues aux arcades, Fresse-sur-Moselle, Bussang et ses scieries, Château-Lambert, petit hameau de la Haute-Saône déguisé en Pierre-Fendre ou en Château-Lamay, Dans cette Franche-Comté voisine, apparaissent furtivement Servance, Beulotte-Saint-Laurent ou La Montagne, village qui évoque les romans de Giono.
DEGUISEMENTS LEGITIMES ET BROUILLAGES DE LA FICTION
Le romancier n'est pas soumis à la même rigueur que celle des géographes. Pour la nécessité logique du récit, il bouscule les montagnes. Par exemple, dans Le Ciel fracassé (1975), depuis Bussang, Adrien « le déserteur » et son amie Célia ne traversent que « deux villages endormis », (Bussang et Le Thillot), avant le « col raide [qui] menait en Haute-Saône ». Le narrateur a donc escamoté les villages superflus de Saint-Maurice et de Fresse.
Pelot s'amuse d'ailleurs aux dépens de lecteurs trop pusillanimes. Relisons la présentation de La Forêt muette (1982) : « Le Cul de la Mort est un endroit qui ne figure pas nominativement sur les cartes d'état-major ou autres ; même le très sérieux Institut géographique national a choisi, semblerait-il, de l'ignorer. » Inutile de suivre sur la carte au 1/25 000 ème, les personnages égarés dans les roches de Morteville, parmi les étangs fangeux de la Haute-Saône, dans les méandres du Col de Bussang ou de la route des Ballons.
ATMOSPHERE ET PARLER LORRAIN
Seul Pierre Pelot pouvait imposer à toute la francophonie des mots du patois local vosgien ou des régionalismes lorrains. La ferme vosgienne ancienne revit avec son bardage de bois, sa charpente couvertes d’essentes ou d’essies, ses portes de bouachrie, son charri avec le bruit de la gouliche et l’entassement des « charpagnes » tressées ou des « tacounets » où séchent les oignons ou les échalottes, voire la bérouette ou le béro. A l’intérieur, qui n’a pas vu la pierre d’eau, l’araignée de bois et ses ustensiles, le banc de pots rudimentaire et les sabots courte-gueule ? Peut-on encore ignorer les « fiounements » d'un chien-loup pleurnichard ? les « gaillots » engouffrés dans le poêle ? ou encore l'« épouvantail à counailles » !
Bûcherons et boquillons sont aussi souvent évoqués que les pistes de débardage et les tracés de schlittage. Gare aux « chablis » qui nuisent à l’exploitation des « tronces », des « grumes » pour aboutir aux « lognes », « rondins » « bracos » ou « quartiers » divers, rangés en stères !
UN SEUL VRAI PAYS
Le seul vrai pays dont veut rendre compte Pierre Pelot, « c'est le pays de ceux qui ne suivent pas, qui dérapent, qui débordent des moules », « C'est la montagne et non la ville ». Il devient le chroniqueur fantasmatique de ceux que l'on a privé de parole, d'écriture ou de mémoire(s) pour dire les difficultés de survivre de tous les « mangeurs d'argile », des « calamiteux », qu'une société urbaine isole, marginalise ou méprise.
Les personnages de Pelot ne sont pas des héros classiques. Ce sont des bûcherons, des sagards, des maçons, des menuisiers-charpentiers. ... Ce sont souvent des paysans ou des ouvriers du textile. On rencontre aussi des artisans, des employés de magasin, ou plus rarement des colporteurs, des brocanteurs ou des rebouteux. Plus généralement, il y a les exclus de tout acabit.
Pelot n'aime pas ceux qui occupent « un rang », « tous ces apôtres, écrit-il, qui nagent et pagaient dans leurs petites sphères étroites de pouvoirs et regardent de haut la piétaille ». Subjectif, il met en garde l'adolescent Tillix, désireux d'être explorateur, et qui « n'avait pas encore compris que les seules jungles qu'il pouvait être amené à découvrir étaient celle des métiers à tisser, dans le bruit infernal et la chaleur suante, que ses lianes seraient celles des courroies de transmission (...), que ses « sauvages » à pacifier auraient toujours le visage retors de certains contremaîtres ».
LES VOSGES « ADAPTEES » A L'ECRAN
Les adaptations télévisées ou cinématographiques montrent l'exactitude du regard et la précarité de lieux interchangeables. Les Etoiles ensevelies restituent l'atmosphère hivernale des étangs brumeux de la Haute-Saône, avec ses prés gorgés d'eau.
Le téléfilm Le Pantin immobile, adapté par Pelot lui-même, respecte scrupuleusement la topographie du roman, avec ses alternances de séquences tournées tantôt à Saint-Maurice, tantôt à Bussang. Il inclut des moments de cinéma-vérité, comme les feux de la Saint-Jean ou l'arrivée du train dans la fameuse gare, ornée d'une banderole indiquant : Saint-Maurice-Ballon d'Alsace.
Le téléfilm Le Pain perdu de Pierre Cardinal montre une ferme vosgienne typique, dont les bardeaux et les « esseaux » vont brûler. Des scènes ont été tournées à Saint-Maurice comme la bagarre près du mur supérieur du cimetière ou l'arrivée du car, de retour de la colonie, sur la place de l'église.
D'autres adaptations trahissent l'aspect secondaire du paysage. Ainsi, Fou comme l'oiseau de Fabrice Cazeneuve déplace les lieux frémis de l’action, en 1983, vers le hameau de Saint-Bresson en Haute-Saône. Il le fait sans que l'essentiel soit infidèle.
L'Eté en pente douce aurait pu être tourné dans les Vosges. La petite maison coincée entre deux garages- (déjà évoquée dans le roman Le Pain perdu ! )- était-elle trop évidente pour que Gérard Krawczyk lui préfère en 1987, celle d'un petit village du Sud de la France ?
LE SECRET (EVENTE) D’UNE OEUVRE
En fait, Les Hautes Vosges ont procuré à Pelot des odeurs, des senteurs essentielles dans son cheminement vers l’écriture. Non, ce n’est pas quand la rivière en furie et assassine retourne les billes de bois de La Drave (1970) ou les radeaux des bûcherons qu’elle importe le plus.
En fait, c’est la jeune Moselle estivale aux « pierres souvent découvertes », qui prime. C’est elle qui accompagne la révélation de son état d’écrivain après qu’il a refusé le chemin tracé par d’autres.
On l’apprend dans Le Ciel fracassé en 1975 à travers le personnage d’Adrien Levreau, « quatorze ans mal sonnés », « parti pour le centre d’apprentissage. Huit jours. (…) il était revenu. Il avait dit : « Je n’y retournerai pas ». C’était un samedi soir de septembre, en fin d’été torride. (…). [Adrien] était allé s’asseoir au bord de la rivière. Dans les odeurs de vase sèche et de soleil couchant. Il avait regardé couler l’eau maigre, entre les pierres découvertes par la sécheresse. Il était bien. »
Des éléments similaires apparaissent en 1980 dans Blues pour Julie : Jo Dague revient définitivement du Centre d’Apprentissage de la ville. « Il était allé s’asseoir au bord de la rivière. L’été était passé, sec comme un souffle d’enfer. Il ne restait qu’un faible filet d’eau qui zigzaguait entre les pierres recouvertes de vase séchée. Cela sentait le poisson mort et les mousses en putréfaction. (...)
Dans Méchamment dimanche, en 2005, le garçon Zan, né le même jour que Pelot, « regarda la rivière couler et laissa les odeurs de vase l’imprégner par tous les pores de son être. Ces senteurs chaudes lui firent prendre conscience de la baisse du niveau de l’eau. (…)
Ces « senteurs d’anciens assèchements sur les pierres découvertes par l’été », « mêlées à des odeurs de regains frais », on les retrouve en 2007, dans Paroles d’auteurs, La Lorraine. Pelot écrit :
« Le jour où j’ai compris que je ne pouvais qu’être écrivain doit bien exister. Mais je ne m’en souviens plus. Je me rappelle la saison et l’endroit et l’atmosphère : une retombée de septembre au bord de la rivière, dans les odeurs de vase d’un étiage sévère descendu bellement d’une canicule flamboyante. Le cul sur la berge à regarder couloter l’eau et me dire que non, non non non, « ils » ne m’obligeraient pas à faire ce qu’on fait à cet âge : prendre le départ avec les autres ».
Si l'on veut comprendre l'acharnement du romancier à vivre dans une. région et à en caresser, par les mots, ses aspects significatifs, on ne peut ignorer des fictions « d'autant plus vraies qu'[il] s'est donné la peine de les inventer » ? En fait, que lui ont surtout appris d’essentiel Les Vosges ou La Lorraine ? Qu’ « il y a des odeurs de vase sur les pierres d’une rivière qui ne s’estompent jamais » !
Grâce à Bastien, l'ouvrier retraité qui, Le Cœur sous la cendre, se souvient, on plonge dans un temps un peu plus reculé, celui « d'avant 1914, alors que la frontière passait à quelques kilomètres du col de Bussang, et que les vieux, aux veillées, racontaient des histoires de contrebandiers. »
On bondit de vingt ans avec Paulin, lorsque s'apprêtent à tomber Les Neiges du coucou (1976). Paulin se souvient de 1936, « quand l'usine a fermé ses portes, quand les patrons renvoyèrent les syndicalistes, (...) quand lui chantait, l'Internationale, gamin. ». « On coupait les arbres à la hache et au passe-partout. On débardait avec les bœufs. Les scieries (...) chantaient la chanson du haut-fer. »
RONDEURS, BOSSES ET PENTES DOUCES, DES CONSTANTES DU PAYSAGE VOSGIEN PELOTIEN
Ce qui fascine le regard du narrateur, c'est la montagne qui lui fait face chaque matin. Celle que Bastien observe dans Le Cœur sous la cendre : « Des montagnes rondes, bossues, des montagnes à sapins, pareilles à toutes les autres qui cernent la vallée. Mais (...) tellement proches (...) comme si, brutalement, il leur venait des ambitions de Mont Blanc ».
Ce qui est constant, c'est la notion, (toute féminine et sensuelle), de rondeur ou de rotondité, Ces formes attendrissantes inspirent l'image des « montagnes aux pentes douces qui enfermaient les vallées » ainsi que les observe Une jeune fille au sourire fragile. Dans Fou comme l'oiseau (1980), « le chemin sciait en pente douce tout le coteau du Bas-Haut » et la même image s'impose plusieurs fois, évidemment, dans L'Eté en pente douce, titre astucieux, voire génial, qui naît autant du sens poétique que de l'observation des paysages.
Ce qui rompt l’harmonie des courbes et des lignes douces, ce ne sont ni « les murets, les barrières de pierres sèches », qui délimitent les essarts et les champs de pâture, ni les « quelques grappes de maisons-jouets ». Ce sont plutôt « les usines (...) avec leurs toits en dents de scie qui grinçaient dans le paysage, avec leurs hautes cheminées de briques, comme des pieux dans le cœur de la bête ». C'est du moins l'opinion de Paulin dans Les Neiges du coucou.
Un montagnard ne peut envisager la description d'un massif sans imaginer son ascension. Prenons le seul exemple du fameux Ballon d'Alsace gravi en fait, par l'écriture, à toutes les saisons. Au printemps, c'est Chip, Fou comme l’oiseau, qui escalade la longue route en voiture. La neige est encore présente : « elle bordait chaque côté de la route en lacets de hauts bourrelets durs, gelés... ». La récompense, c'est la vision du sommet : « La crête, tranchée net comme par un coup de sabre gigantesque, était vierge de toute espèce de végétation de taille humaine ».
LE VILLAGE DE SAINT-MAURICE-SUR-MOSELLE, NOMME, CACHE OU REBAPTISE...
Dans Elle qui ne sait pas dire je, on rencontre ce malicieux dialogue (p. 87) :
« - C'est où que vous habitez ?
Il le lui dit.
Elle demanda :
- C'est où, A côté de quelle ville ?
Il le lui dit.
Ensuite, elle garda le silence. »
Pelot aime jouer à cache-cache avec les noms de lieux, en particulier avec celui de son village qu'il rebaptise Vizentine-sur-Agne, les Deux Ballons, Les Fenaisces ou Saint-Bernard-du-Vallon, Le Cratère ou le Village du Bord, Saint-Mihiel ou Saint Hiel. On trouve aussi Vize-sur-Agne, Maur-sur-Agne ou Saint-Benoît-sur-Agne, des noms qui rappellent qu’il s’agit bien de fictions.
Si Saint-Maurice est clairement nommé dans Le Pain perdu et Le Cœur sous la cendre ou Ce soir, les souris sont bleues, le hameau est évoqué sans être cité, ou remplacé par un nom d'emprunt ou décrit par le truchement d'un lieu-dit dans une vingtaine d'ouvrages. Seule une connaissance géographique de la Haute-Moselle, (et encore ! ), permet de retrouver la colline du Braqueux, la vallée de la goutte du Rieux ou les roches de Morteville.
Voir, plus haut, Fig. 3 : Le village en étoile de Pierre Pelot, cliché R. Perrin.
UN LIEU SYMBOLIQUE : LA GARE
S’il est un lieu mythique pour le romancier, voyageur immobile - c'est bien la petite gare du village -. exemple symbolique qui témoigne de l'inexorable dégradation d'une région déclinante au fil des ans.
Voir, plus haut, Fig. 4 : a, b, c, Métamorphoses d’une petite gare, Clichés R. Perrin
Comme elle était vivante pourtant, cette gare quand « les seuls bruits [qui] montaient venaient de la halle (…), où des voituriers devaient charger un wagon : on entendait cogner les quartiers de bois et les billes sur le fond métallique ou contre les parois ». Mais c'était en 1920, au temps du colporteur Brice Gallet !
En 1974, Lou Carmaux, à la recherche du Pain perdu, observe la gare quittée douze ans plus tôt. C'est « la même quoique peut-être plus écaillée dans son maquillage jauni ». Deux ans plus tard, Lorrain, Le Pantin immobile et voyageur clandestin remarque « Le quai. Vide et blanc. La gare elle-même, avec son crépi de façade qui fichait le camp par grosses plaques ». « le panonceau frontal » a disparu. « Mais l'horloge ronde était encore là. »
En 1983, pour les voyageurs de La Nuit sur terre, c'est un triste spectacle : « La gare de Saint Hiel n'était plus en fonction. Elle se trouvait au nombre des sacrifiées sur la ligne Remiremont-Bussang, pour cause de non-rentabilité (...) ». En plus du panneau frontal, on a arraché « la grosse horloge ronde ... Des particuliers (…) avaient acheté le bâtiment de la gare pour en faire une résidence secondaire (...) ».
Depuis le 27 mai 1989, quand roula « le dernier des trains », on vit les mauvaises herbes et les arbustes pousser sur le ballast délesté des voies rouillées. (Fig. 2 : La voie désaffectée, cliché R. Perrin). Ensuite, vint la voie verte. Pelot n’a pas le cœur de poursuivre sa chronique après ces transformations irréversibles même si la gare réapparaît, contre toute attente, en 2007, dans Les Normales saisonnières bretonnes. L’essentiel n’était-il pas de faire de la gare le lieu symptomatique de la décrépitude inexorable de la région ?
L’usine textile aurait-elle pu remplir la même fonction ? On pourrait le croire en écoutant le vieux Caron, descendant d’un pionnier déchu, dans Les Caïmans sont des gens comme les autres (1996) : « Il y avait des usines un peu partout dans cette vallée et les environnantes sur le bord des rivières. Des tissages. Les trois quarts de gens travaillaient dans les usines, ça roulait plein pot, ça glissait comme sur du velours. Maintenant que tout se déglingue un peu partout, c’est dur d’imaginer une telle situation. Forcément. »
UNE ECRITURE SOUVENT VOUEE A LA PEINTURE DU MICROCOSME
En 1987, Pelot déclare : « Je me suis finalement rendu compte que le monde entier était à ma porte, dans les gens, la vie qui m'entourent. (…). Faulkner disait qu'il n'aurait pas assez de toute son existence pour s'occuper du petit timbre-poste que représente sa contrée. »
Au lecteur avide d'en savoir plus de recenser les notations sur les scieries où ont cessé « la chanson du haut-fer » et son « va-et-vient saccadé », sur les « cités » ouvrières aux « mêmes façades écaillées que l'on repeint tous les cinq ans aux frais de l'usine », « avec leurs ramées protectrices de vieilles plaques de fibrociment ».
Au patient géographe, laissons le souci de situer les « vallées secondaires » du village, les collines, les ballons, les étangs mystérieux et les rares lacs.
Pour résumer l’aspect du village, il suffit de prendre un peu de recul et de hauteur grâce aux Pauvres zhéros (1982) [magnifiquement adapté depuis en bande dessinée par Baru] : « Le village, vu du ciel, rappelait la forme d'une étoile à cinq branches. Il avait poussé au point de rencontre des vallées et s'était étendu, semant ses maisons le long des cours d'eau, toujours plus haut vers la source. La plus forte concentration d'habitations suivait bien sûr la vallée principale de la Moselle, (à peine rivière), et les axes jumeaux de la route et de la voie ferrée ».
Il est aisé d'identifier les cinq branches de l'étoile : deux sont constituées par le cours amont de la Moselle et le bras en aval. Les trois autres sont données dans Suicide : « La Feigne [ou Faigne], Presles, les Charbonniers » [ou vallée de l'Agne], cette dernière se subdivisant elle-même en vallées secondaires. Cette immense vallée ramifiée est la préférée du romancier. Ne lui a-t-elle pas fourni ses deux pseudonymes de Suragne et de Carbonari ?
Mais si l'on y suit Bastien pour découvrir « Les Feignes », on arrive dans la triste « réserve ». C'est là qu'échouent les retraités parqués pour céder leurs logements ensoleillés du centre du bourg à des ouvriers encore productifs Cet écart n'est qu’une partie de l'immense vallée des Charbonniers, dominée par « les masses rondes et boisées » des Braqueux.
Dans le récit fantastique, La Peau de l'orage, c'est sur cette éminence que l'on situe le premier hameau : « Il y a (...) deux cents années pour le moins, alors que la vallée était vide de village, nue comme ma main, c'était là-haut, sur les Braqueux, qu'il était le village. (...) »
GENESE DU « GRAND OEUVRE »
Et cette histoire tient tellement à cœur à Pelot qu'il a envisagé, depuis vingt ans et surtout depuis 1994, d'écrire l'immense saga, du XVIIe siècle à nos jours, d'une famille d'origine suédoise installée en ces lieux. Le projet mûrit lentement, se modifie et nécessite un énorme travail d’archives, doublé de patientes recherches linguistiques et historiques. Il est interrompu par la rédaction des cinq tomes de la saga Sous le vent du monde, et par l’accident cardiaque dont Pelot est victime après la tempête de décembre 1999. L’aboutissement est, après deux années d’écriture, le long récit : C’est ainsi que les hommes vivent, publié en août 2003. Ce roman de plus de 1100 pages est une longue enquête entreprise en 1999, sur des faits tragiques qui se sont déroulés au XVIIe siècle. L’essentiel est dans l’insertion de personnages originaux et surprenants, « désensevelis » de l’Histoire de la Lorraine et suivis dans leurs métamorphoses identitaires, aventureuses et douloureuses. Pelot développe deux trames parallèles dans deux univers historiquement très différents, celui des intrigues et des troubles du duché de Lorraine au XVIIe siècle et l’époque contemporaine, non moins exempte de turpitudes.
Au début du XVIIe siècle, une paysanne lorraine est brûlée comme sorcière, après avoir donné naissance à un garçon, Dolat, recueilli par les dames chanoinesses de l’abbaye de Remiremont. Apolline d’Eaugrogne, issue de la haute noblesse, devient sa jeune « marraine ». Elevés ensemble, ils vivront une relation passionnée mais Dolat, à douze ans, quitte l’abbaye. Adopté par « Maman Claudon », il devient l’apprenti d’un apiculteur. Dénoncée pour complot contre Catherine de Lorraine, contrainte de fuir vers la Franche Comté, Apolline appelle Dolat à son secours. Les amants traqués se réfugient dans les forêts, au-dessus de Saint-Maurice. La Guerre de Trente ans les sépare...
En 1999, le journaliste Lazare Grosdemange, rescapé d’une attaque cardiaque malmenant sa mémoire, revient dans son village de Saint-Maurice où sa mère vient de mourir. Ce deuil le conduit à fouiller les archives familiales et locales, à entreprendre une enquête historique qui le mène sur les traces d’un ancêtre bagnard et sur la piste d’un trésor lié à l’aventure de Dolat et d’Apolline...
Des investigations pointues permettent de reconnaître, dans d’autres récits, Le Thillot et Remiremont, qui ont en commun leurs rues aux arcades, Fresse-sur-Moselle, Bussang et ses scieries, Château-Lambert, petit hameau de la Haute-Saône déguisé en Pierre-Fendre ou en Château-Lamay, Dans cette Franche-Comté voisine, apparaissent furtivement Servance, Beulotte-Saint-Laurent ou La Montagne, village qui évoque les romans de Giono.
DEGUISEMENTS LEGITIMES ET BROUILLAGES DE LA FICTION
Le romancier n'est pas soumis à la même rigueur que celle des géographes. Pour la nécessité logique du récit, il bouscule les montagnes. Par exemple, dans Le Ciel fracassé (1975), depuis Bussang, Adrien « le déserteur » et son amie Célia ne traversent que « deux villages endormis », (Bussang et Le Thillot), avant le « col raide [qui] menait en Haute-Saône ». Le narrateur a donc escamoté les villages superflus de Saint-Maurice et de Fresse.
Pelot s'amuse d'ailleurs aux dépens de lecteurs trop pusillanimes. Relisons la présentation de La Forêt muette (1982) : « Le Cul de la Mort est un endroit qui ne figure pas nominativement sur les cartes d'état-major ou autres ; même le très sérieux Institut géographique national a choisi, semblerait-il, de l'ignorer. » Inutile de suivre sur la carte au 1/25 000 ème, les personnages égarés dans les roches de Morteville, parmi les étangs fangeux de la Haute-Saône, dans les méandres du Col de Bussang ou de la route des Ballons.
ATMOSPHERE ET PARLER LORRAIN
Seul Pierre Pelot pouvait imposer à toute la francophonie des mots du patois local vosgien ou des régionalismes lorrains. La ferme vosgienne ancienne revit avec son bardage de bois, sa charpente couvertes d’essentes ou d’essies, ses portes de bouachrie, son charri avec le bruit de la gouliche et l’entassement des « charpagnes » tressées ou des « tacounets » où séchent les oignons ou les échalottes, voire la bérouette ou le béro. A l’intérieur, qui n’a pas vu la pierre d’eau, l’araignée de bois et ses ustensiles, le banc de pots rudimentaire et les sabots courte-gueule ? Peut-on encore ignorer les « fiounements » d'un chien-loup pleurnichard ? les « gaillots » engouffrés dans le poêle ? ou encore l'« épouvantail à counailles » !
Bûcherons et boquillons sont aussi souvent évoqués que les pistes de débardage et les tracés de schlittage. Gare aux « chablis » qui nuisent à l’exploitation des « tronces », des « grumes » pour aboutir aux « lognes », « rondins » « bracos » ou « quartiers » divers, rangés en stères !
UN SEUL VRAI PAYS
Le seul vrai pays dont veut rendre compte Pierre Pelot, « c'est le pays de ceux qui ne suivent pas, qui dérapent, qui débordent des moules », « C'est la montagne et non la ville ». Il devient le chroniqueur fantasmatique de ceux que l'on a privé de parole, d'écriture ou de mémoire(s) pour dire les difficultés de survivre de tous les « mangeurs d'argile », des « calamiteux », qu'une société urbaine isole, marginalise ou méprise.
Les personnages de Pelot ne sont pas des héros classiques. Ce sont des bûcherons, des sagards, des maçons, des menuisiers-charpentiers. ... Ce sont souvent des paysans ou des ouvriers du textile. On rencontre aussi des artisans, des employés de magasin, ou plus rarement des colporteurs, des brocanteurs ou des rebouteux. Plus généralement, il y a les exclus de tout acabit.
Pelot n'aime pas ceux qui occupent « un rang », « tous ces apôtres, écrit-il, qui nagent et pagaient dans leurs petites sphères étroites de pouvoirs et regardent de haut la piétaille ». Subjectif, il met en garde l'adolescent Tillix, désireux d'être explorateur, et qui « n'avait pas encore compris que les seules jungles qu'il pouvait être amené à découvrir étaient celle des métiers à tisser, dans le bruit infernal et la chaleur suante, que ses lianes seraient celles des courroies de transmission (...), que ses « sauvages » à pacifier auraient toujours le visage retors de certains contremaîtres ».
LES VOSGES « ADAPTEES » A L'ECRAN
Les adaptations télévisées ou cinématographiques montrent l'exactitude du regard et la précarité de lieux interchangeables. Les Etoiles ensevelies restituent l'atmosphère hivernale des étangs brumeux de la Haute-Saône, avec ses prés gorgés d'eau.
Le téléfilm Le Pantin immobile, adapté par Pelot lui-même, respecte scrupuleusement la topographie du roman, avec ses alternances de séquences tournées tantôt à Saint-Maurice, tantôt à Bussang. Il inclut des moments de cinéma-vérité, comme les feux de la Saint-Jean ou l'arrivée du train dans la fameuse gare, ornée d'une banderole indiquant : Saint-Maurice-Ballon d'Alsace.
Le téléfilm Le Pain perdu de Pierre Cardinal montre une ferme vosgienne typique, dont les bardeaux et les « esseaux » vont brûler. Des scènes ont été tournées à Saint-Maurice comme la bagarre près du mur supérieur du cimetière ou l'arrivée du car, de retour de la colonie, sur la place de l'église.
D'autres adaptations trahissent l'aspect secondaire du paysage. Ainsi, Fou comme l'oiseau de Fabrice Cazeneuve déplace les lieux frémis de l’action, en 1983, vers le hameau de Saint-Bresson en Haute-Saône. Il le fait sans que l'essentiel soit infidèle.
L'Eté en pente douce aurait pu être tourné dans les Vosges. La petite maison coincée entre deux garages- (déjà évoquée dans le roman Le Pain perdu ! )- était-elle trop évidente pour que Gérard Krawczyk lui préfère en 1987, celle d'un petit village du Sud de la France ?
LE SECRET (EVENTE) D’UNE OEUVRE
En fait, Les Hautes Vosges ont procuré à Pelot des odeurs, des senteurs essentielles dans son cheminement vers l’écriture. Non, ce n’est pas quand la rivière en furie et assassine retourne les billes de bois de La Drave (1970) ou les radeaux des bûcherons qu’elle importe le plus.
En fait, c’est la jeune Moselle estivale aux « pierres souvent découvertes », qui prime. C’est elle qui accompagne la révélation de son état d’écrivain après qu’il a refusé le chemin tracé par d’autres.
On l’apprend dans Le Ciel fracassé en 1975 à travers le personnage d’Adrien Levreau, « quatorze ans mal sonnés », « parti pour le centre d’apprentissage. Huit jours. (…) il était revenu. Il avait dit : « Je n’y retournerai pas ». C’était un samedi soir de septembre, en fin d’été torride. (…). [Adrien] était allé s’asseoir au bord de la rivière. Dans les odeurs de vase sèche et de soleil couchant. Il avait regardé couler l’eau maigre, entre les pierres découvertes par la sécheresse. Il était bien. »
Des éléments similaires apparaissent en 1980 dans Blues pour Julie : Jo Dague revient définitivement du Centre d’Apprentissage de la ville. « Il était allé s’asseoir au bord de la rivière. L’été était passé, sec comme un souffle d’enfer. Il ne restait qu’un faible filet d’eau qui zigzaguait entre les pierres recouvertes de vase séchée. Cela sentait le poisson mort et les mousses en putréfaction. (...)
Dans Méchamment dimanche, en 2005, le garçon Zan, né le même jour que Pelot, « regarda la rivière couler et laissa les odeurs de vase l’imprégner par tous les pores de son être. Ces senteurs chaudes lui firent prendre conscience de la baisse du niveau de l’eau. (…)
Ces « senteurs d’anciens assèchements sur les pierres découvertes par l’été », « mêlées à des odeurs de regains frais », on les retrouve en 2007, dans Paroles d’auteurs, La Lorraine. Pelot écrit :
« Le jour où j’ai compris que je ne pouvais qu’être écrivain doit bien exister. Mais je ne m’en souviens plus. Je me rappelle la saison et l’endroit et l’atmosphère : une retombée de septembre au bord de la rivière, dans les odeurs de vase d’un étiage sévère descendu bellement d’une canicule flamboyante. Le cul sur la berge à regarder couloter l’eau et me dire que non, non non non, « ils » ne m’obligeraient pas à faire ce qu’on fait à cet âge : prendre le départ avec les autres ».
Si l'on veut comprendre l'acharnement du romancier à vivre dans une. région et à en caresser, par les mots, ses aspects significatifs, on ne peut ignorer des fictions « d'autant plus vraies qu'[il] s'est donné la peine de les inventer » ? En fait, que lui ont surtout appris d’essentiel Les Vosges ou La Lorraine ? Qu’ « il y a des odeurs de vase sur les pierres d’une rivière qui ne s’estompent jamais » !
Notes et références :On trouvera une présentation à la fois différente et plus copieuse du même thème, sur le site ecrivosges, sous le titre : Pelot en pente douce et rondes bosses
Le même site propose : Le Lexique vosgien, les régionalismes lorrains et quelques traditions locales dans les romans de Pierre Pelot
Pierre Pelot et les Vosges : liste chronologique des romans « vosgiens »Les titres cités dans l’article étant fort nombreux, le lecteur curieux en trouvera les références en consultant trois sites possibles :
1) http://ecrivosges.2st.fr/
2) http://www.noosfere.com/ (Bibliographie commentée et par genres des romans de Pierre Pelot)
3) site personnel de Pierre Pelot : http://pagesperso-orange.fr/pierrepelot/
Après 2003, Pelot quitte les éditions Denoël et publie ses romans chez Héloïse d’Ormesson, [puis chez d’autres éditeurs].
Dossier publié dans :
Journées d’études vosgiennes
LE THILLOT LES MINES ET LE TEXTILE
2000 ANS D’HISTOIRE EN HAUTE-MOSELLE
Société d’Emulation des Vosges Société d’Histoire de Remiremont et de sa région
3e trimestre 2008
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire