Je me souviens de Mouloud Mammeri
C’était au cours de l’été 1975.
Avec mon épouse, nous avions décidé de camper et de visiter l’Algérie et
plus particulièrement la Kabylie en utilisant le stop et les transports en
commun afin d’être en contact avec la population.
(Je sais que la chose peut surprendre en 2014).
Après le camping sauvage et la visite des superbes ruines de
Djemila-Cuicul, je me souviens de l’ascension d’une montagne kabyle pour voir
de près la cime de « la main du juif ». Nous avons vécu plusieurs
nuits étoilées dans des sites rocailleux où nous ne pouvions voir que de rares
bergers (l’un d’eux, en haut d’un col sans arbre, nous avait offert l’ombre de
sa cabane et son lit pour faire la sieste). En stop, grâce à des camions, nous nous étions
retrouvés dans un hameau haut perché de la commune de Beni Yenni. C’est ainsi
que nous avons atterri dans le village de Taourirt-Mimoun dans lequel Mouloud
Mammeri, le célèbre écrivain poète, anthropologue et linguiste, est né en 1917.
De lui, je ne connaissais guère alors que le film d’Ahmed Rachedi
tourné en 1969, L’Opium et le bâton,
d’après son roman paru en 1965. D’après les articles du journal Le Monde de
l’époque, je savais les difficultés auxquelles il se heurtait déjà pour diffuser la
langue et la culture berbère, à travers des cours bénévoles.
Quelle ne fut pas notre surprise de le découvrir au milieu de ses amis
villageois, homme parmi les hommes, en train de jouer aux dominos tout en
devisant joyeusement. Comme nous avions été invités à partager les festivités
d’un mariage, nous avons eu la chance d’échanger quelques propos. En
plaisantant, il nous disait avec un humour malicieux : « Dans mon
village, il y a deux choses à voir, la mosquée et moi ». Je me souviens
avoir été étonné par le français très pur et très riche, pratiqué par tous les membres
de cette communauté.
Nous avons continué notre périple et avons gagné le nord grâce à l’auto
de jeunes gens qui nous ont hébergé à Tizi-Ouzou. Ils se nommaient Ahmed, Rabah
et Hamid et ils nous emmenaient sur les plages de Tighzirt où nous écoutions le
chanteur kabyle Idir et sa fameuse chanson Avava
Inouva. (Que sont-ils devenus ?). L’hospitalité dura plusieurs jours
car nos hôtes se mettaient à pleurer dès qu’on leur annonçait notre départ
imminent pour Alger et la fin d’un voyage merveilleux dans un pays où l’accueil
fut exceptionnel.
Dès que les Contes berbères parurent
chez Bordas en 1980, je les ai lus et appréciés. Or, c’est en cette année 1980
qu’une interdiction frappa une conférence de Mouloud Mammeri sur la poésie
kabyle. Ce fut, dit-on, l’origine du printemps berbère. Lorsqu’en février 1989,
l’écrivain fut victime d’un accident automobile, je ne compris pas tout de
suite, tant le fait est monstrueux, qu’il aurait été assassiné par le pouvoir.
Mouloud Mammeri a payé cher, trop cher, la défense de son identité amazigue.
Je suis très fier d’avoir pu serrer la main de cet homme.
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