Le
journal de Tintin en France, un événement parfois inaperçu en 1948
La
presse des jeunes en cette année 1948 est dans un contexte difficile. On sait
que se prépare la loi du 16 juillet 1949 sur les « publications pour la
jeunesse » (déjà préparée depuis longtemps par les lecteurs militants de
feu l’abbé Bethléem) et plusieurs journaux sentent si fort le vent du boulet
approcher qu’ils préfèrent se saborder.
L’Astucieux,
Francette, King-Kong, Mon Journal, Bob et Bobette et Les
Aventures fantastiques, Le Journal de
Bébé, Vaillante et Jeune Gars
disparaissent. Parmi les récits complets, on ne verra plus Les Aventures fantastiques, Bob
et Bobette édité par Dargaud et À
l’assaut du ciel.
C’est
la rencontre entre Raymond Leblanc, éditeur et ancien résistant et Hergé, interdit
de publier en septembre 1944, au lendemain de la Libération de la Belgique , qui a permis la naissance
du Journal de Tintin
« paraissant chaque jeudi » d’abord en Belgique, deux ans avant son
arrivée en France. Le numéro 1 paru le
26 septembre 1946, tiré à 40 000 exemplaires, (épuisés en trois
jours), est illustré en couverture par Le
Temple du soleil de Hergé. Paraissent aussi les aventures de Blake et Mortimer de E.-P. Jacobs, L’Extraordinaire aventure de Corentin Feldoé
de Paul Cuvelier. Raymond Leblanc fonde alors la nouvelle société des Editions
du Lombard où seront publiés les albums tirés des bandes dessinées prépubliées
dans l’hebdomadaire.
Cette
apparition du Journal de Tintin dans
le « plat pays » éclipse souvent l’arrivée en France de ce Journal de Tintin « le journal de tous
les jeunes et de tous les amis des jeunes ». Il est édité par Le Lombard
et Georges Dargaud, à Paris, au n° 60 de la Chaussée d’Antin, le 28 octobre
1948, soit deux longues années après l’édition belge, connue dans le Nord de la
France par les messages publicitaires de la station Radio-Luxembourg. Ce fut
pourtant un événement considérable tant il était attendu. Pourquoi ce
retard ? Parce que le rival de Tintin n’est pas, comme on pourrait le croire son confrère
belge Spirou, mais l’hebdomadaire
catholique Coeurs Vaillants qui, sous la houlette de l’abbé Gaston Courtois diffusait en
exclusivité les aventures de Tintin en France
depuis 1930. L’abbé Courtois exige que le nouveau journal ne fasse pas
une concurrence déloyale au sien et fait tout son possible, selon Raymond
Leblanc, pour faire échouer le projet d’implantation du périodique en France.
Compte tenu de la façon plus que désinvolte dont Cœurs vaillants a publié de novembre 1947 à
janvier 1949, les planches « massacrées », découpées n’importe
comment, dotées de couleurs inadéquates de l’épisode Le Temple du
soleil
(parfois nommé Le Soleil du temple !), on comprend qu’Hergé ne
publiera plus dans le journal Cœurs vaillants.
Pour
le prix de 15 francs, les petits Français découvrent neuf séries de bandes
dessinées. Outre la première planche de L’Or noir et celle des aventures de Jo, Zette et
Jocko dans Le Stratonef
H. 22. de Hergé, des bandes dessinées
réalisées par Edgar P. Jacobs pour les aventures de Blake et Mortimer (Le Secret de
l’Espadon),
Paul Cuvelier (L’Extraordinaire odyssée de Corentin Feldoë), Jacques Martin (Alix
l’intrépide),
Jacques Laudy (Hassan, le Voleur de Bagdad), les aventures de deux
gamins de Bagdad et une bande anonyme de Salomone, La Princesse Zulimah. Leclerc, soldat
de légende
(en couverture) est une histoire illustrée par Etienne Le Rallic et il reste
sept pages de rédactionnel adapté aux goûts des Français pour compléter le
magazine de 16 pages. Il faudra de longues semaines de patience pour que les
nouveaux lecteurs puissent connaître le dénouement des histoires distribuées au
compte-goutte (à raison d’une planche par semaine), sans compter les
interruptions.
(Présentation
surtout extraite de « Fictions et journaux pour la jeunesse au XXe
siècle, L'Harmattan, Edition 2014 », page 140.
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