"La Vie
exaltante" des Editions de la Nouvelle France, une collection assez
mal connue (1)
Pourquoi
si peu d’ouvrages historiques consacrés à l’édition française évoquent-ils cette
collection qui a pourtant publié 42 ouvrages de 1943 à 1947 dont une quinzaine
d’inédits ? Peut-être parce qu’elle symbolise assez bien toutes les
ambiguïtés politiques d’une époque balançant entre la Collaboration et la
Résistance.
L’appellation
« Editions de la Nouvelle France », créée au moment où la France
connaît le régime de Vichy est plutôt étonnante et le nom de la
collection : « La Vie exaltante », dans un tel contexte pourrait
sembler une provocation. (1)
Bien
sûr, on pourra rappeler qu’une telle expression est généralement utilisée pour
rendre compte d’une existence épique, dune carrière militaire exemplaire ou
d’une vie vouée à la défense d’un idéal. On ne manquera pas de remarquer que
c’est à la fin de 1944, seulement, que la collection obtient l’aval de la
censure militaire, après avoir, il est vrai, publié habilement des ouvrages
célébrant la courageuse libération du pays.
Voici
comment les éditeurs présentent leur collection, en 4e de couverture
de la réédition de l’Escadron blanc (n° 4) de Joseph Peyré : « Le titre de la collection n’est pas modeste
mais la modestie n’est pas toujours opportune quand il s’agit d’évoquer les
plus glorieuses références de notre histoire ou de réveiller les mâles vertus
qui sont l’illustration de notre race. Que l’exemple soit puisé dans
l’innombrable geste nationale ou qu’il soit offert par des héros inventés selon
les règles traditionnelles, les textes de cette collection voudraient avoir
pour mission de restaurer, d’entretenir et d’exalter les grandes vertus viriles
qui sont le goût du risque et le sens de l’honneur ».
Selon
Elisabeth Parinet (Histoire de l’édition à l’époque contemporaine, Seuil, 2004, p. 368), les éditions de la Nouvelle France sont créées par le fils de
Georges Crès qui ajoute ainsi « au fonds hérité de l’ancienne maison Crès, disparue en
1938 »,
une édition de « demi-luxe ».
De
nombreux ouvrages sont de nouvelles éditions puisqu’il n’y a en tout qu’une
quinzaine d’inédits.
Sans
doute avec l’accord de l'occupant et grâce à un groupement d’éditeurs (on
aimerait bien savoir lesquels), elles ne manquent pas d'un papier de qualité et
publient, à tirage limité, des romans luxueux pour l'époque, reliés et
illustrés, dans la collection "La Vie exaltante". Le tirage est
généralement de 500 ouvrages, plus 80 hors commerce (certains ouvrages
bénéficient de nouveaux tirages en 1946), tous illustrés en couleurs, avec des
hors-texte. Les livres, au format 19,5 sur 14,5 cm., sont munis d’une jaquette
mobile illustrée en couleurs
Au
départ, la tonalité de la collection semble traditionaliste et nationaliste. La
publication d’un livre consacré à Charlotte Corday, la meurtrière du
révolutionnaire Marat, est assez édifiante. Certains auteurs sont maurrassiens,
pétainistes et la présence du comte de Gobineau, précurseur de théories
racistes, confirme cette orientation droitière (2).
Or,
dans la deuxième moitié de l’année 1944, après la libération de Paris, la
collection introduit d’autres sensibilités dès la douzième parution. Interviennent
alors des auteurs gaullistes, tel Jacques Debû-Bridel (pour une vie de La Fayette, une vie au service de la liberté),
des résistants, comme Paul Achard. Des ouvrages célèbrent adroitement le
débarquement, les armées de libération sur terre, sur mer et dans les cieux.
Personnellement,
j’apprécie la reconnaissance du rôle libérateur des soldats africains dans Le 3e
R.T.A en Italie (Janvier-Août 1944), écrit par des mains anonymes.
Après
une réédition de L’Escadron blanc de
Joseph Peyré, illustrée par Pierre Noël, le 6e volume est une
réédition de La Guerre du feu de J.- H. Rosny, illustrée
en couleur par Michel Jacquot, avant Marins de Surcouf et
Pirates et négriers de Louis Garneray, mis en images par Timar. Sur le même
thème sera publié Les Gentilshommes de la
flibuste de Léon Treich. La mer et les marins inspirent d’autres rééditions
de récits, comme L’Aigle de mer
d’Edouard Peisson, L’Ancre de miséricorde
(1944) de Pierre Mac Orlan, illustré par Guy Arnoux, Patrouilles à la mer. Dunkerque-Fessingue 1939-1940 de Pierre
Dubard. Le récit de Jean Variot, Les
Coursiers de Sainte-Hélène, superbement illustré par Luc-Marie Bayle
(1914-2000), imprimé en juillet 1945, est « autorisé
par la censure militaire en date du 30 octobre 1944 ».
On
rencontre aussi dans la collection une réédition du récit : Les Disparus de Saint-Agil de Pierre
Véry, illustré par Beuville. En mars 1944 paraît le romanesque Pontcarral (1937) d'Albéric Cahuet
(1877-1942), un auteur aux écrits dénotant parfois une tonalité pétainiste,
réactualisé par le film de Jean Delannoy en 1942, réédition posthume mal mise
en images par Joé Hamman.
Quelques récits à dominante biographique célèbrent Du Guesclin et Le Fleuve. Les Grands heures de la vie de François Garnier de
Roger Vercel ou Claude Bernard ou
l’aventure scientifique de Raymond Millet.
La
publication du 30e volume, La Grande épreuve, roman montagnard dédié à François Mauriac, second volume du diptyque Le Soldat de la neige de Paul Achard, au
cours du 4e trimestre de 1945, laisse perplexe. C’est vrai : la
tonalité religieuse dominant le 1er tome : Le Héros des Alpes, célébrant Saint Bernard de Menthon, est
amplifiée dans le 34e volume, dû à Charles Pichon qui consacre, avec
imprimatur, deux ouvrages biographiques à Charles de Foucauld : Le Houzard, puis Le Saint du Sahara. Le
dernier ouvrage de la collection, le n° 42,
semble être Matterhorn de
Joseph Peyré, en 1947. (3)
(1) La consultation de
l’ouvrage de Pascal Fouché : L’Edition
française sous l’Occupation 1940-1944 (mais je n’ai lu que le tome II) ne
m’a pas apporté d’éclaircissements. Les deux volumineux ouvrages ne mentionnent
en tout que deux brèves notes.
Le gros ouvrage, L’Edition française depuis 1945, ne nous
renseigne guère. On y apprend que c’est « la Librairie de l’exportation Gaulon et fils (qui) représente un temps
les Editions de la Nouvelle France » (p. 717) et que ces éditions
« reprennent leurs activités »
( ?...) le 24 mai 1949 (p. 806).
Les faibles tirages, en
général 500 exemplaires luxueux, parfois « sur velin B.K.F de Rives,
numérotés de 1 à 500 », d’une collection vouée en outre à la jeunesse, peuvent
aussi expliquer le faible intérêt des historiens de l’édition pour cette
collection.
(2) Un auteur de la
collection, sera condamné à la
Libération, de vingt ans d’indignité nationale. Un autre, mis à la porte de
l’Education nationale, est suspecté d’antisémitisme.
(3) Les éditions de ces
ouvrages ne sont pas toutes reprises dans les bibliographies « officielles »
des divers auteurs.
Merci beaucoup pour cet éclairage. Je suis un amateur du travail de Beuville qui a illustré deux ouvrages dans cette collection et je me demandais quelle était a politique éditoriale de cette maison.
RépondreSupprimerJe m'intéresse de plus en plus aux œuvres éditées sous l'Occupation Allemande et vos commentaires me conduisent à approfondir mes connaissances avec les ouvrages de référence que vous citez. Merci !
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