"Lecture
Junior" (1992-1996) : originalité et sens esthétique mal récompensés
« Le cercle des
collections disparues » doit aussi évoquer des collections relativement
récentes. C’est le cas de "Lecture Junior" dont on pouvait encore
acquérir certaines parutions à la fin du XXe siècle. Il s’agissait
d’une collection exceptionnelle tant par la qualité du papier, l’originalité du
format que par le choix judicieux des meilleurs auteurs et illustrateurs.
Avec une grande hardiesse
éditoriale, Gallimard
Jeunesse lance la collection "Lecture
Junior", destinée aux 9-15 ans, ne publiant que des inédits, d’abord
avec une 1ère de couverture sans titre ni auteur. Il s'agit rien
moins, pour les jeunes lecteurs, dès 9 ans, que de provoquer « la rencontre avec la littérature (...) en
douceur ». Les moyens mis en œuvre sont considérables et les
concepteurs ont imaginé « un
livre beau sans être intimidant ». La maquette est neuve, originale
: l’illustration de couverture pleine page, d’une grande qualité esthétique,
sur papier souple, ouvre sur « de
belles pages foisonnantes d’illustrations en couleur, parfaitement intégrées au
texte ». L’élégante
typographie offre une grande lisibilité. Le papier est souple et résistant. « Des
vignettes parcourent le récit comme des croquis accompagnent un carnet de
voyage ». On en oublierait presque qu'il s’agit d’ouvrages de
« poche », oubli conforté par le format 140 sur 190 mm, alors
innovant et copié par d'autres, plus tard, au cours de la décennie. Bien vite
cependant, titres et nom d’auteur reviendront à la une. Il faut dire que le
romancier avait pu paraître évincé par l’illustrateur, et un équilibre pouvait
sembler rompu entre le texte et l’image, au profit de cette dernière.
L’important
est que l’on a publié là, le plus souvent grâce à des inédits, les plus grands
noms de la littérature jeunesse, ceux qui seront les « classiques
de demain », tels Roald Dahl (Le Livre de l’année), Leon Garfield, avec La Montre en or,
Janni Howker dont on traduit Le Secret du
jardin, Dick King-Smith qui peut manifester ses préférences pour son « animal favori » : le cochon. De lui, on
publie généreusement As de Trèfle,
le porcelet passionné de télévision, Cul Blanc, autre porcelet, à
l’humour indispensable pour supporter d’être la mascotte d’un régiment. Le
Nez de la Reine, Les Souris de
Sansonnet et Les Longs museaux
(des renards), montrent l’étendue de la palette animalière pleine de fantaisie
d’un admirateur de Kipling et Beatrix Potter. C’est l’auteur le plus présent
avec 8 volumes. Auteur déjà réputé en 1982 pour Cheval de guerre (War Horse, chez Heineman), Michael
Morpurgo qui gratifie la collection de quatre récits (dont Le Roi Arthur) publie des romans parfois
graves, tels le roman de guerre Anya, et l’épopée poétique, Le Roi de
la forêt des brumes (1992), très bien illustrée par François Place. Il
faudrait encore citer Janni Howker, Rosemary Sutcliff, Diana Wynne Jones,
Elizabeth Laird…
Parmi
les auteurs français, on remarque Marie Farré et ses récits Pourquoi pas Perle ? et Ne jouez pas
sur mon piano !,
Evelyne Brisou-Pellen (Le Fantôme de Maître Guillemin), Jean-Paul Nozière (Tu vaux mieux
que mon frère),
Daniel Pennac, dont on édite les quatre épisodes de Kamo, parfois sous
d'autres titres que ceux de leur prépublication, Patrick Süskind et L’Histoire
de Monsieur Sommer, Michel Tournier et La Couleuvrine moyenâgeuse,
ces trois derniers auteurs ayant vu leurs récits respectifs, prépubliés dans la
revue Je bouquine. Des talents nouveaux apparaissent : ceux de Bernardo
Atxaga, dont l’ouvrage inttendu Mémoires d’une vache, de l’Anglaise
Michelle Magorian dont on traduit les deux tomes de Bonne nuit, monsieur Tom,
de Hugo Verlomme, un passionné de la mer, surfant sur les mots pour magnifier L’Homme
des vagues. Ce qui fixe ces livres dans les mémoires, c’est, outre la
saveur des récits, la qualité des illustrations, humoristiques ou réalistes,
dues aux meilleurs crayons et pinceaux de la génération. Les Anglo-Saxons
Quentin Blake, Anthony Browne voisinent avec les Français Roger Blachon
(1941-2008), Serge Bloch, Jean-Philippe Chabot, Jean Claverie, Jean-Claude
Götting, Miles Hyman, Claude Lapointe, Georges Lemoine, D. et C. Millet, François
Place, Jame’s Prunier ou Jean-Jacques Sempé... On donne d’ailleurs la parole
aux auteurs et illustrateurs à la fin de chaque volume.
Il
est bien dommage que cette collection aussi séduisante que novatrice n'ait pas
pu continuer d’exister telle quelle (elle n’a duré que de 1992 à 1996, lorsque
64 titres sont publiés, le n° 64 étant Monsieur Personne de Michael Morpurgo).
Certes, les textes subsistent puisqu'ils ont en général été repris par la
durable collection "Folio Junior", mais le concept bien que
fortement novateur, dû au regretté Pierre Marchand (1939-2002), et les
illustrations en couleur, auront malheureusement disparu.
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