jeudi 11 octobre 2018

Jacques Martin, l'album La Grande Menace et le tunnel d'Urbès (et non de Bussang)


Jacques Martin, l’album La Grande Menace et le tunnel d’Urbès (et non de Bussang)

Le fait que les éditions Hachette viennent de rééditer (pour un prix dérisoire) la bande dessinée La Grande Menace (parue dans le journal de  Tintin en 1952, devenue un album du Lombard en 1954) donne l’occasion de rectifier une erreur réitérée à propos du lieu qui est à l’origine de l’histoire conçue et dessinée par Jacques Martin.



Jacques Martin persiste et signe

Dans Les Cahiers de la bande dessinée n° 20, Spécial jacques Martin d’avril 1973, Jacques Martin raconte les origines du héros Lefranc : « C'était en 1950. J'étais avec un ami d'enfance en vacances dans les Vosges. II m'emmena voir le tunnel de Bussang transformé par les Allemands en 1944 pour lancer des V 1 sur Paris. Heureusement, l'avance rapide des troupes françaises empêcha ce crime d'être accompli. Le tunnel, très profond, était invulnérable aux bombardements, et à la moindre alerte, il suffisait de rentrer les rampes de lancement à l'intérieur, grâce à des rails. En visitant, je me suis rendu compte que tout était intact, et il m'est apparu que n'importe quel fou pouvait remettre tout cela en état de marche ! (…) De retour en Belgique, j'ai imaginé l'histoire de La Grande Menace.»     
Sur le site internet Araucan.com en 2002 (50 ans après la naissance de Lefranc), Jacques Martin persiste dans cette version en faisant cette confidence : « Lorsque j'ai acheté ma première voiture en 1951, je me suis rendu dans les Vosges pour retrouver un ami d'enfance qui m'a fait découvrir le Col de Bussang. Pendant la Seconde Guerre, ce n'était pas encore un col mais un tunnel où les Allemands avaient installé des V.1 braqués sur Paris. Rendez-vous compte que lors de ma visite, en 1951, ils étaient toujours en place, juste désarmés. Le site était gardé par un malheureux soldat. J'ai trouvé cela tout à fait effarant ! Sur le chemin du retour, j'ai imaginé le scénario de La Grande Menace.  (Ce texte est encore en partie repris en 2018 dans la nouvelle édition Hachette de la B.D., dans le cahier additionnel, page 5).
        

Jacques Martin s’est trompé de tunnel

Or, il faut bien admettre que Jacques Martin a été trahi par sa mémoire. Le tunnel visité n’est pas celui qui a été construit au col de Bussang au début des années 1840. Le souterrain long de 250 mètres a été frontalier après l’annexion de l’Alsace jusqu’en 1918. En 1944, les Allemands font exploser une partie de la voûte de ce tunnel routier pour retarder les Américains. On ne voit plus guère aujourd’hui que l’entrée alsacienne, l’entrée vosgienne étant masquée par la végétation. 
En fait, Jacques Martin (né à Strasbourg en 1921, disparu en 2010), a visité la partie terminale du tunnel ferroviaire qui devait relier Saint-Maurice-sur-Moselle dans les Vosges et Urbès en Alsace (un tunnel bien connu aujourd’hui grâce aux travaux du Bussenet Raphaël Parmentier). Envisagé en 1927, il est interrompu en 1935 alors que 4000 mètres ont été creusés côté alsacien sur les 8300 m. prévus. A la fin de 1943, les Allemands investissent le tunnel pour y enterrer une usine d‘armement. Devenu un camp de travail dépendant des camps de concentration de Natzwiller-Struthof, le tunnel soumet les déportés à des conditions de travail insupportables dans les gaz et l’humidité. L’usine produit des pièces pour les V1/V2 et pour les réacteurs du Messerschmitt ME 262. C’est donc bien ce tunnel de l’horreur d’Urbès que Jacques Martin a visité soit en 1950, soit en 1951. Dans le climat de guerre froide des années 50, où la perspective d’une Troisième Guerre Mondiale n’est pas écartée, il imagine une puissance criminelle (dirigée par la maléfique Axel Borg) menaçant l’Etat français de détruire Paris avec une bombe nucléaire. La tâche du journaliste Lefranc est donc gigantesque pour empêcher ce projet diabolique !          

 
La prépublication dans le journal de Tintin des 60 planches (une par semaine) commence le 21 mai 1952 dans l’édition belge et le 3 juillet 1952 dans l’édition française. Seule, l’édition belge consacrera une couverture à La Grande menace. La première édition de l’album aux éditions du Lombard date de 1954. 

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