vendredi 28 janvier 2011

Polar jeunesse Sir Jerry détective



Couvertures de Manon Iessel, de Georges Pichard et de Françoise Bertier

Au cours des prochaines semaines, le blog va surtout présenter et illustrer Héros et héroïnes, auteurs, collections et romans singuliers du polar jeunesse.

Sir Jerry, le détective bon chic, bon genre, pour jeunes lectrices bien sages

En 1919, les Éditions Gautier-Languereau, dans le journal La Semaine de Suzette (1905-1960), hebdomadaire bien pensant, destiné à la bourgeoisie, voire à l'aristocratie, soigné mais monotone en dépit de louables efforts de mise en page et d’un rédactionnel le plus souvent attrayant et moderne, prépublient des romans repris dans « La Bibliothèque de Suzette » (1919-1965).
C’est seulement en 1935 que paraissent dans la collection les récits assimilés à des romans policiers de Madeleine Gélinet, alias Mad. H. Giraud (1880-1961). Directrice de La Semaine de Suzette de 1927 à 1949 et auteur connu avant la guerre du guide des bonnes manières Suzette et le bon ton, Marie-Henriette Giraud, dite Marie Mad ou encore « Tante Mad », est toute indiquée pour faire de La Semaine de Suzette le « journal des petites filles bien élevées ». Elle est bien placée pour imposer sa série policière "Sir Jerry détective", née en 1935, les aventures d’un enquêteur modèle et défenseur idéal de la justice.
Dès ce premier épisode (réédité en 1959 dans la « Nouvelle Bibliothèque de Suzette » et aux Éditions Triomphe en 1996), Sir Jerry apparaît comme un détective habile et acquiert tout de suite le statut de défenseur idéal de la justice et de la lutte manichéenne contre le Mal. Certes, il doit beaucoup à la fois à Arsène Lupin et à Sherlock Holmes, copié jusque dans l’usage de la pipe, mais ses actions sont si parfaites dans leur déroulement méthodique, impassible et ordonné, que le personnage agacerait sûrement les lecteurs et lectrices d’aujourd’hui. Ils s’intéresseraient davantage aux enfants qui participent aux enquêtes au point d’appartenir bientôt à « L’École des détectives », laquelle école concrétise de plus en plus clairement leur collaboration, au fil de la série.
Certes, les intrigues paraissent bien naïves mais l’initiative est d'autant plus remarquable que le roman policier est alors méprisé et le plus souvent exclu des livres juvéniles, tant il suscite la méfiance dans l'enseignement et chez les spécialistes des livres pour la jeunesse.
Toutes ces énigmes policières sont parfois aussi invraisemblables qu’elles sont inoffensives, tant les faits sont dépouillés de toute violence. Pour dédramatiser davantage l’action qui ne débouche jamais sur la mort, même celle du « méchant », Mad H. Giraud va plusieurs fois, au cœur de ses récits, jusqu’à se moquer du genre policier. Un nouvel épisode de cette série paraît alors chaque année jusqu’au début de la Deuxième Guerre mondiale.
Se succèdent régulièrement, après Sir Jerry détective en 1935, Les Étranges vacances de Sir Jerry (1936, rééditions en 1949, 1953 et 1960), Sir Jerry et l’affreux Léonard (1937, rééditions en 1948, 1961 et 1995), La Mystérieuse disparition de Sir Jerry (1938, rééditions en 1944, 1945, 1951, 1964 et 1997), L’Inévitable Sir Jerry (1939, rééditions en 1942 et 1995) et La Périlleuse mission de Sir Jerry (1940, rééditions en 1949, 1952 et 1995). Dans la « Nouvelle Bibliothèque de Suzette » (parfois nommée « Bibliothèque bleue », en 1960, l’illustrateur Georges Pichard remplace Manon Iessel pour illustrer la série policière de Mad H Giraud, "Sir Jerry", est entièrement rééditée.
Les rééditions des années 90 doivent être portées au crédit des Éditions Triomphe. Si chaque épisode propose la résolution d’une énigme policière plus ou moins crédible, il va de soi que toutes les actions sont aseptisées pour les jeunes filles de bonne famille.
Après la guerre, on peut lire le dernier récit de la série, paru chez Gautier-Languereau, intitulé Jerry dans l’ombre (1948, réédition en 1954), quand Sir Jerry entre dans la Résistance. La série s’achève en 1949, lorsque les Éditions des Deux mondes publient Sir Jerry et les Philippines, illustré par Manon Iessel (1909-1985), comme l’étaient les premières éditions des divers épisodes, agrémentées d’illustrations intérieures en noir et blanc de cet auteur. Ces mêmes Éditions des Deux mondes publient aussi en 1950, dans la même « Collection Sir Jerry Détective », une curiosité due à la prolifique Henriette Robitaillie. Il s’agit du récit intitulé L’Étoile et le détective (généralement non répertorié dans les œuvres de l’auteur), illustré par Françoise Bertier.

2 commentaires:

  1. Merci pour cet article sur ce cher Sir Jerry.
    Je ne trouve pas les intrigues spécialement naïves, par rapport à tant d'autres livres d'aventures. Quand à la bien-pensance, quand j'entre dans une librairie jeunesse, je trouve que, si le fond de la morale change, le moralisme et l'aseptisation sont toujours aussi présents.
    Cordialement,
    AS

    RépondreSupprimer
  2. Merci por cet article très complet. Je ne cesse de m'étonner des commentaires négatifs, ici et partout ailleurs, dès lors qu'on parle de la morale présente dans les livres anciens pour la jeunesse. Parce qu'il est bienvenu que les enfants d’aujourd’hui soient mal élevés et sans foi ni loi ?

    RépondreSupprimer