Braves gens du purgatoire, dernier
roman montagnard vosgien de Pierre Pelot
Un récit difficile à apprivoiser
Le
dernier roman publié de Pierre Pelot ne s’apprivoise pas facilement. Il demande
une lecture d’autant plus attentive que se mélangent les époques, les
personnages et leurs mémoires multiples et entremêlées, les lieux, même s’ils se limitent aux Hautes Vosges et à une partie de
l’Alsace.
Les
descriptions méticuleuses, détaillées comme si elles devaient à tout prix empêcher
l’oubli, se font dans des phrases très développées et au moyen d’une langue
parfois emberlificotée, voire précieuse ou archaïque (Merci, Monsieur Littré)
qui laisse aussi sa part au patois local et aux niveaux de langue multiples, du
plus grand style au niveau le plus
familier.
Passés
ces obstacles, en plus d’une généalogie compliquée des personnages : Joshua
et Kate Bansher venus d’Amérique en 1889, les Dérandier, les Calvin, les Rouy, tant
leurs géniteurs sont inconnus ou extérieurs aux couples officiels, (corrigeant
en partie la consanguinité de ces vallées en cul-de-sac). On doit se repérer
dans des lieux tantôt urbains (comme l’usine au toit « à dents de
scie », « la
« boîte » comme l’appellent ceux qui en sont le contenu »), mais
variant au rythme des mutations économiques, tantôt plus souvent ruraux, au
coeur des forêts de sapins et d’épicéas, des « corrues » de débardage
de bûcherons et des torrents, sous diverses époques ou saisons.
Ajoutez
à cela les ruses d’un romancier qui non seulement disperse des éléments
autobiographiques généreusement attribués à divers personnages plus ou moins
proches de lui, comme Simon, Adelin et Quentin, sans oublier une fiction dans
la fiction créant l’autre romancier anarchiste et teigneux Michaël, un autre
double fictionnel qui écrivait « des histoires de péquenots (...) avec des
personnages de terre et de pierre dure », et vous obtenez un roman dont la
lecture réserve beaucoup d’émotions nouvelles et intenses et requiert une
attention de tous les instants.
Certes,
si Pelot est un raconteur d’histoires, on peut se demander si l’intrigue est
bien l’essentiel. En effet, alors que la mort du Vieux Maxime Bansher, « l’homme
des loups », bûcheron et sagard, et de sa compagne Anne-Lisa (depuis la
mort de son épouse « la bohémienne » Léna), paraît bien mystérieuse,
le 2e chapitre détruit le suspense puisqu’il montre leurs deux
assassins en action.
Si
des mystères demeurent : disparitions inattendues, ossements humains
retrouvés, rôdeurs aux errances imprécises, peut-être faut-il plutôt se
concentrer sur les quelques personnages hauts en couleurs, même si ce sont des
« gens de peu » car ce sont eux qui construisent la véritable
histoire.
Il
y a d’abord Simon Clavin, l’écrivain de la Grand’Goutte et la mémoire des
lieux, au « regard étréci », bourru, malade et vieillissant, dont le
fils est mort d’une rupture d’anévrisme cataclysmique, « fauché net, dans
sa ville en paix ». (Il doit beaucoup à son créateur). Sa petite nièce,
Lorena Bansher, petite fille de Maxime et fille d'Adelin, cavalière de talent, compagne du
Jurassien Justin, discret et protecteur, veut que Simon l’aide à connaître la
vérité sur toute sa famille.
Parmi
les Rouy, le plus original est Henri, surnommé Zébulon, plus doué pour jouer le
« lapin à vélo » en poussant des yodels tyroliens, que pour
l’industrie textile. Il sillonne vallées et collines en quête des rôdeurs et
connaît des secrets que les autres attribuent à son esprit perturbé.
Un village qui ressemble fort à celui de
Saint-Maurice-sur-Moselle
Quels
que soient les artifices de la fiction et même s’il s’agit d’un « roman »
(donc d’un récit où l’on ne doit pas normalement chercher des éléments
« entre les lignes »), il est plus qu’évident que le village de
Purgatoire est peu ou prou celui (en étoile variant de 3 à 5 branches) de
Saint-Maurice-sur-Moselle (comme il était déjà au coeur de plus de 30 récits
pelotiens).
On
reconnaît dans « les quatre vallées [qui] formaient le centre de l’étoile
labourée dans les vieilles montagnes, le cœur de Purgatoire » (p. 106)
« sous les sommets aplatis du massif de Servance ». Pelot évoque les
jeux autrefois des gamins et gamines « issus des quartiers et écarts
divers bourgeonnant sur les trois vallées en étoile ainsi qu’à leur jonction,
au coeur même de Purgatoire… » (p.
186)
Simon
et son fils Quentin apprécient tous les cours d’eau de Purgatoire :
« la Moselle jeunette franchissable en trois bonds, l’Agne des
Charbonniers, le Rû de Presles, les gouliches des Feignes. »
On
peut même, grâce à la course folle vélocipédique de Zébulon, passer de la place de l’église à
« la rue pentue du village », au carrefour, à « la route
nationale » « poursuivie jusqu’à la route perpendiculaire »
« vers le quartier des Ajoncs » (ou des Ajols !),
« traversant l’ancienne voie ferrée transformée en voie verte ».
Il
est aisé de reconnaître la place de l’église, la boulangerie et la mairie
proche, un peu plus haut, l’ancien cinéma « Domino », le cimetière où
sont civilement enterrés Maxime et Anne-Lisa. le café de Maria. Bien plus haut, l'emplacement des anciennes scieries et de leurs grumes et la maison de Simon au fond du Goulot cul-de-sac,
dans la vallée rétrécie de la Grand’Goutte.
Des
va-et-vient nombreux se font entre les Hautes Chaumes (nom fictif désignant la
ferme-station, le domaine skiable, les pistes, les télésièges, l’hôtellerie, la
restauration) « au creux des sommets charnières » comme le Ballon
d’Alsace, où vivent Lorena et Justin, les Ajoncs et son ancienne usine textile, Purgatoire et ses
« châteaux (les maisons de maître des industriels du textile), et la
vallée de L’Agne ou des Charbonniers.
Sur les adrets et les envers des vallées, au-dessus
des « écarts limitrophes » et des « hameaux éparpillés »,
existent « des forêts denses de sapins et d’épicéas » et des chemins
« parmi les buttes, les pentes, les devers et les revers »…
Le
récit a pour toile de fond l’agonie d’une vallée, de l’implantation du textile
à l’échelle industrielle (développée par Pelot à travers une mythologie
américaine fictive) jusqu’à la fermeture et la destruction des usines, du
développement des scieries et des métiers du bois à leur déclin.
Davantage
qu’une saga familiale, celle des Bansher et de leurs descendants venus de
Louisiane et éparpillés dans la vallée de la Moselle, sur fond d’intrigue
policière, ce roman que d’aucuns jugent testamentaire permet à Pelot de faire
vibrer les nombreuses cordes de son arc, mêlant, à diverses époques, les
sensations du chant répétitif des grillons, les odeurs de la vase morte collée
aux cailloux, les bourgeons tardifs enfin éclos d’une belle journée d’avril et,
en même temps, les tragédies, les drames, l’écoulement inexorable du temps et
les morts qui jalonnent l’existence.
Braves gens du Purgatoire de Pierre
Pelot, 507 pages, éditions Héloïse d’Ormesson, 2019.
Le
plan de Saint-Maurice-sur-Moselle :
Le
village vosgien de Pierre Pelot, ainsi que la liste titrée
Saint-Maurice-sur-Moselle dans les romans de
Pierre Pelot sont tirés de mon essai (pages 136 et 146) dont la
couverture figure ci-dessous. (J’ai seulement ajouté le titre
Braves gens du Purgatoire en fin de liste).
Pour ceux qui
désirent en savoir plus sur les termes ou expressions empruntés au patois
vosgien par Pierre Pelot dans ce roman, par exemple : les corrues,
zaubette, le charri, un boudou, les grumes, se racrapoter, une counaille, la
gringeotte…, consulter sur le site Ecrivosges :
http://www.ecrivosges.com/auteurs/pelotp/etudes/back2.php