lundi 31 janvier 2011

Polar jeunesse Années 50-60 Séries anglo-saxonnes et françaises (II)



Années 50 : Déferlement des séries anglo-saxonnes et françaises (2e partie)

A la fin des années 50, dans la « Bibliothèque verte », naissent plusieurs séries françaises policières. L’enseignant Georges Bayard propose Michel, ou le jeune enquêteur à la française, depuis Michel mène l’enquête en 1958. Cette série à connotation policière est riche de 39 récits en 1989. Le jeune héros de quinze ans, sportif et intrépide, très intelligent, est doté d’un grand courage physique et moral.
Paul-Jacques Bonzon débute en 1961, la fameuse série Les Six Compagnons avec Kafi et les Compagnons de la Croix Rousse (retitré Les Compagnons de la Croix Rousse). Le jeune Tidou a dû quitter son petit village provençal pour habiter Lyon. Il se désole de n’avoir pas pu emmener son chien Kafi, un berger allemand. Ses amis du quartier populaire de la Croix-Rousse décident de l’aider mais Kafi, à peine arrivé, est volé alors qu’un cambriolage a eu lieu dans le quartier. Voilà la première énigme à résoudre pour Tidou et ses nouveaux amis, le Tondu (totalement chauve), le Gnafron, petit de taille, Corget, Bistèque, fils d’un commis boucher et la seule fille de la bande, la géniale et amicale Mady… Les six compagnons, alliant leurs qualités complémentaires, déjouent les pièges les plus rusés. Au total paraîtront 38 épisodes, de 1961 à 1980, mettant en scènes des enfants des rues, dynamiques et généreux, dévoués et dégourdis qui se débrouillent sans l’aide des adultes.
Georges Chaulet crée sa bande des "Quatre As" (vite adaptée en bande dessinée) et "Mademoiselle Étincelle" (chez Casterman) avant qu’Hachette n’accepte de lancer sa parodique Fantômette, en 1961.
Dès 1961, d’abord dans la « Nouvelle collection Ségur » puis dans la « Bibliothèque rose », on remarque, l'apparition d'une « mystérieuse justicière » à la poursuite de malfaiteurs dans Les Exploits de Fantômette. C'est le premier épisode de la longue série de Georges Chaulet, toujours éditée en 2011. Âgée d’une douzaine d’années, la jeune aventurière et justicière, héritière inoffensive du Fantômas de Marcel Allain et Pierre Souvestre, est vêtue d’un justaucorps jaune et masquée d’un loup de velours en hiver et de soie, l’été.
Auparavant, aux Éditions belges Casterman, la collection « Relais », publie en romans la série Les Quatre As de Georges Chaulet, devenue une série de bandes dessinées en 1964, grâce à François Craenhals, avec Les Quatre As et le serpent de mer et Les Quatre As et l’aéroglisseur. La bande de Lastic, le chef, Doc le cérébral, Dina, seule fille de l’équipe, Bouffi le gourmand bien nommé, sans oublier le chien Oscar, élucide des affaires pleines d’ombre et de mystères.
Dès 1964, apparaît Langelot, l’agent secret imaginé en 1964 par Lieutenant X (alias Vladimir Volkoff, 1932-2005). C’est la première fois que la « Bibliothèque verte » s’ouvre au roman d’espionnage quand paraît Langelot et les espions, une histoire à l’allure moderne. Sportif, agile et doué pour les arts martiaux, le jeune sous-lieutenant blond aux yeux bleus des services secrets, âgé d’environ dix-huit ans, est à l’image de son auteur : patriote, moraliste et soucieux de respecter les hiérarchies.
Chez Hachette, d’autres séries anglo-saxonnes marquent les années 60. Bennett, le sympathique collégien, parfois enquêteur d’Anthony Buckeridge précède de peu Les Trois jeunes détectives, attribués à Hitchcock.
"Bennett", série d’Anthony Buckeridge (né en 1912), traduite par Olivier Séchan, ressortit à la « school stories » de la littérature anglaise, parue d’abord en 1963 dans la collection « Idéal Bibliothèque », est amusante mais elle n’a que peu de rapports avec le roman policier. Sauf quand le collégien Bennett (alias Jennings, en anglais) s’associe avec son fidèle ami Mortimer (Darbishire), tous deux toujours pleins d’idées saugrenues, pour fonder L’Agence Bennett & Cie (1965). Conquis par la lecture de Sherlock Holmes, Bennett décide de fonder, dans le collège où il est pensionnaire, une agence de police privée.
C’est en 1964 qu’un certain Robert Arthur, journaliste de son état, imagine la série à fort suspense Les Trois jeunes détectives, attribuée à Alfred Hitchcock. Plusieurs auteurs, à partir de 1968-1969 (Dennis Lynds, Mary Virginia Carey, Kin Platt alias Nick West, Marc Brandel, William Arden…), prendront sa succession pour assurer tant bien que mal la survie de la série.
La Librairie Charpentier publie les enquêtes des Frères Hardy de Franklin D. Dixon. Cette traduction d’une série américaine du pool « Stratemayer Syndicate », fondé par Edward Stratemayer, The Hardy Boys, n’apparaît en France que dans les années 60.
N’oublions pas Le Carré d’As : les quatre Parisiennes d’Odette Sorensen, chez Hachette. Odette Sorensen (née en 1903) se lance à partir de 1965 et jusqu’en 1969 (et pas 1976, date erronée), dans la série policière du Carré d’As, illustrée d’abord par François Batet, pour la « Bibliothèque verte ». Qui sont les jeunes filles associées dans ce Carré d’As ? Quatre Parisiennes : la brune et sportive Patricia, l’As de Pique, la rêveuse Laurence, l’As de Cœur couleur châtain, sœur cadette de Patricia, la blonde et savante Annette, L’As de trèfle et la petite rousse énergique, Catherine dénommée Kito, l’As de Carreau. En lutte contre l’injustice, elles font preuve d’intuition, d’imagination et d’esprit logique pour faire triompher la vérité, aidées leur ami Marc Pidoux, « le Joker ».
Les Éditions G.P., dans leurs collections « Spirale » et « Dauphine », contribuent au genre policier par des récits autonomes et grâce à la série de Pierre Lamblin, Jacques Rogy, un détective intrépide. C’est un sympathique journaliste et détective campé par Pierre Lamblin (né en 1902), déjà auteur de vingt volumes en 1972.

Polar jeunesse Années 50 Séries anglo-saxonnes et françaises (I)



Polar jeunesse Années 50 Séries anglo-saxonnes et françaises (I)

Années 50 : Déferlement des séries anglo-saxonnes et françaises (1ère partie)

Louis Mirman et l’éditeur Hachette mettent en place, dès 1955, une redoutable machine commerciale et offensive pour les publier, dans les collections « Bibliothèque rose », « Bibliothèque verte », « Idéal Bibliothèque », voire « Collection Ségur ». Déboulent Alice, jeune détective de charme, Les Sœurs Parker, alias The Dana Girls, attribuées à Caroline Quine. La série initiale « Nancy Drew », du nom de l’héroïne blonde, charmante mais intrépide, âgée de dix-huit ans, attribuée à Carolyn Keene, est traduite en France sous le nom d’Alice (Roy). Son auteur devient Caroline Quine. En fait, si le personnage a bien été imaginé par Stratemayer, c’est la jeune Mildred Wirt Benson (1905-2002) qui écrit en 1930 le volume initial de la collection, The Secret of the Old Clock. (traduit sous le titre Le Mystère de l’horloge). D’autres auteurs, comme Walter Karig et Harriet Stratemayer Adams, participeront à l’écriture de la série. Alice vit dans un milieu aisé de la ville américaine imaginaire de River City où elle pratique tennis et équitation. Orpheline de mère, elle vit avec son père Carson Drew, avoué brillant et avec une gouvernante qui lui est très dévouée.
Pour la série des Sœurs Parker (The Dana Girls) attribuée à Caroline Quine, dans la « Bibliothèque verte », c’est Leslie McFarlane qui écrit les quatre premiers titres avant que Mildred Wirt Benson, auteur officiel des Alice, se charge de la suite : une douzaine de livres publiés entre 1936 et 1954. Les orphelines, Liz, dix-sept ans, et Ann Parker, sa sœur de seize ans, ont été recueillies par leur tante Harriet et leur oncle Dick Parker, capitaine au long cours.
La prolifique Enid Blyton assène les nombreux récits d’énigmes que l’on donne à résoudre à des bandes d’enfants dans les séries : Club des cinq, Mystère et Clan des sept
Son premier roman d'aventures (Five on a Treasure Island), date, pour l’écriture, de 1938. Le Club des Cinq et le trésor de l'île, premier d'une longue série de 21 épisodes était paru à Londres en 1942 (Il ne sera traduit en France qu'en 1962). En 1955, l'année où paraissent Le Club des cinq et Le Club des cinq contre-attaque, elle ne publie pas moins de 37 livres ! Très vite, la jeunesse du baby-boom de ces « trente glorieuses » s’attache aux exploits des enfants téméraires de la bande : Claude, une fille, garçon manqué et déterminé, qui exerce son ascendant sur la bande, et les trois frères et sœur, Annie, sorte de très jeune maîtresse de maison sensible et timide, Mick, garçon courageux, voire casse-cou intrépide mais impulsif, et le chef du club, François, l’aîné rassurant et cordial, sans oublier le chien Dagobert… Dans ces histoires, stéréotypes et invraisemblances abondent, crimes et violences sont bannis et le bon triomphe toujours du méchant. Dans Le Clan des sept d’Enid Blyton, qui sont les « Sept » ? Quatre garçons : Pierre, le chef, Jacques, Colin et Georges et trois filles : Jeannette, Pamela et Babette. N’oublions pas le chien Moustique. Mots de passe, insignes et réunions dans une cachette font penser à une petite société secrète.
Si Bob Morane, lancé en 1953 par Henri Vernes dans la collection "Marabout junior", est un aventurier volontiers espion, ses activités ne se limitent pas à ce rôle. De rares séries policières francophones apparaissent, comme Cinq jeunes filles de Toudouze (en 1954) ou celle de l’agent typiquement français, Nick Jordan, créé par André Fernez, dans la collection « Marabout junior » du Belge Gérard qui, outre Bob Morane, publie aussi Kim Carnot de Jacques Legray et Gil Terrail de Jean-Pierre Max.
A la même époque, alors que les Éditions G.P. publient les récits souvent policiers de Paul Berna, Les Enquêtes du Chat-Tigre de Mik Fondal (Dalens et Foncine) intègrent peu à peu la collection « Signe de piste », Les auteurs-clés de la collection scoute créée en 1937, chez Alsatia, Serge Dalens (alias Yves de Verdilhac, 1910-1998) et Jean-Louis Foncine (Pierre Lamoureux, 1912-2005) fondent, en 1956, leurs deux noms d’emprunt dans le pseudonyme de Mik Fondal pour les récits policiers des Enquêtes du Chat-Tigre. La série qui a pour personnage principal Mik le Chat-tigre. Elle est constituée de douze tomes illustrés par Pierre Joubert et publiés entre 1956 et 1987.
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Libellés : Polar jeunesse, séries anglo-saxonnes, séries françaises

samedi 29 janvier 2011

Pierre Véry et le polar jeunesse





Pierre VÉRY et le polar jeunesse

Né à Bellon, en Charente, le 17 novembre 1900, Pierre Véry est décédé le 12 octobre 1960 à Paris d’une crise cardiaque.
Après le certificat d’études, le lycée et le Petit Séminaire de Meaux (il a créé la société des Chiche-Capon dans le pensionnat Saint Marie de cette ville), Pierre Véry exerce divers métiers dont celui de libraire à Paris. Chroniqueur, journaliste littéraire, il écrit essentiellement des romans pour adultes. Romancier populaire et scénariste, c’est un précurseur du genre policier juvénile, d’abord avec Les Disparus de Saint-Agil, mystère poétique avec des enfants, qui paraît chez Gallimard en 1935. Christian-Jaque le porte à l’écran en 1938, avec Michel Simon, Erich Von Stroheim et Mouloudji, (écrit Mouloudgi sur l’affiche), avant qu’il entre dans la « Collection Nelson » en 1939. (La jaquette des éditions Nelson est superbe !). Il a fallu attendre sa réédition illustrée dans la collection « La Vie exaltante » des Éditions de la Nouvelle France, en 1943 pour que ce classique de Pierre Véry devienne destiné à la jeunesse. (Curieuses Éditions de la Nouvelle France de 1943, à l’allure bien pétainiste. Quel nom provocateur : « La Vie exaltante », pour une collection sans pénurie d'un papier de qualité. C’est fou ce que la vie pouvait être « exaltante » dans la France de l’Occupation et des rafles de 1943 !).
On connaît bien la fameuse histoire des pensionnaires qui ont fondé la bande des Chiche-Capon dont le repaire est la salle de sciences naturelles (l’ouvrage est en partie autobiographique). Les membres de la bande consignent leurs exploits dans un cahier secret. Or, un jour Mathieu disparaît et il n’est pas le seul ! Le récit est paru dans la collection « Folio junior Enigmes », avant d’être adopté par la collection « Folio junior » où il paraît toujours.
Un livre paru chez Arthème Fayard et un film de Georges Lampin prolongent l’histoire de cet établissement scolaire pour un même titre : Les Anciens de Saint-Loup (avec François Périer, Bernard Blier, Serge Reggiani, Odile Versois, Pierre Larquey).
Autre récit finalement adopté dans les collections juvéniles, L’Assassinat du Père Noël (1934). Le fait est survenu dans l’abbaye de Mortefont où d’étranges événements ont lieu autour de la relique de Saint-Nicolas ou de ses diamants. Le récit doit attendre 1981 pour être accessible à la « jeunesse », grâce à la collection « Folio junior énigmes », chez Gallimard Jeunesse. L’œuvre, adaptée au cinéma en 1941 par Christian-Jaque, y apparaît avec une introduction éclairante de Francis Lacassin et de superbes illustrations de Nicolas Wintz. Vient de paraître chez Glénat, une superbe adaptation en bande dessinée, réalisée par Didier Convard, Eric Adam et Paul.
Le Réglo, moins connu, (déjà publié par Gaston Gallimard en 1935), renaît en 1994 aux Deux Coqs d’or, avec Les Métamorphoses, en 1995.
Peu avant la mort de Pierre Véry en 1960, sont publiés dans la « Bibliothèque verte », les deux récits clairement juvéniles. Signé : Alouette (adapté dans un téléfilm de Jean Vernier en 1967, avec une musique de Georges Garvarentz) raconte le kidnapping d’un enfant, mal aimé de ses parents adoptifs. Signé : Alouette, c’est le surnom de Noël, un garçon prénommé ainsi parce qu’il a été abandonné un soir de Noël. Adopté par la première épouse décédée du riche et puissant M. de Saint-Aigle, directeur de deux journaux, il n’est guère apprécié par sa belle-mère adoptive, laquelle lui préfère le petit Charles, le fils de son mari. A l’école, Noël a pour copains Ali-Baba, dit « Baba au Rhum », Profil d’Anchois et Dominique, dit « Grand Chef » qui lui joue parfois des tours pendables, comme le jour où il lui demande de jouer à l’aveugle. C’est ce jour que Noël fait connaissance de « l’aveugle » qui stationne devant le cours Ludovic, pris en sympathie au point que les enfants remplacent son chien Spoutnik infidèle en lui offrant un autre chien, Spoutnik 2. Ce faux aveugle va bientôt se faire le complice de l’enlèvement de Noël et il en devient le gardien. Des messages affichés près de l’école constituent une fausse piste qui retarde les recherches de la police et des amis de Noël. Ses amis, Dominique, Ali et le chien Spoutnik II le recherchent...
Hachette publiera une novélisation du téléfilm avec, en couverture les principaux personnages. Après sa publication dans la collection « Verte aventure Policier », l’ouvrage est aujourd’hui disponible grâce à Jacques Baudou qui le réédite en 2009 dans la collection « Chambres noires », chez Mango.
Dans le second roman policier édité dans la « Bibliothèque verte », Les Héritiers d’Avril (récit publié en feuilleton dans le journal Pilote en 1960), on constate que reviennent les mêmes détectives en culottes courtes, cette fois en quête d’un trésor. Tous les descendants de Guillaume Avril, sont convoqués par le détective privé Longuereau. S’ils veulent bénéficier d’un héritage fabuleux, il leur faut d’abord découvrir la cachette du testament, sous une lame de parquet dans une vieille tour. Un message gravé sur un disque malencontreusement brisé (on n’en possède qu’une moitié), devait les y conduire. C’est alors qu’interviennent à nouveau Dominique, dit « Grand Chef » et ses amis Noël et Ali, dit « Baba au Rhum »...
L’ouvrage bénéficie de trois rééditions chez Hachette, d’abord dans la « Verte aventure Policier », puis dans « Vertige » tandis la « Bibliothèque verte » renouvelle la couverture de 1960.
Même s’il n’appartient pas au « rayon jeunesse », on s’en voudrait d’oublier Goupi Mains Rouges, célèbre roman de 1937, très connu grâce au film de Jacques Becker en 1943 (avec Fernand Ledoux).

vendredi 28 janvier 2011

Polar jeunesse Sir Jerry détective



Couvertures de Manon Iessel, de Georges Pichard et de Françoise Bertier

Au cours des prochaines semaines, le blog va surtout présenter et illustrer Héros et héroïnes, auteurs, collections et romans singuliers du polar jeunesse.

Sir Jerry, le détective bon chic, bon genre, pour jeunes lectrices bien sages

En 1919, les Éditions Gautier-Languereau, dans le journal La Semaine de Suzette (1905-1960), hebdomadaire bien pensant, destiné à la bourgeoisie, voire à l'aristocratie, soigné mais monotone en dépit de louables efforts de mise en page et d’un rédactionnel le plus souvent attrayant et moderne, prépublient des romans repris dans « La Bibliothèque de Suzette » (1919-1965).
C’est seulement en 1935 que paraissent dans la collection les récits assimilés à des romans policiers de Madeleine Gélinet, alias Mad. H. Giraud (1880-1961). Directrice de La Semaine de Suzette de 1927 à 1949 et auteur connu avant la guerre du guide des bonnes manières Suzette et le bon ton, Marie-Henriette Giraud, dite Marie Mad ou encore « Tante Mad », est toute indiquée pour faire de La Semaine de Suzette le « journal des petites filles bien élevées ». Elle est bien placée pour imposer sa série policière "Sir Jerry détective", née en 1935, les aventures d’un enquêteur modèle et défenseur idéal de la justice.
Dès ce premier épisode (réédité en 1959 dans la « Nouvelle Bibliothèque de Suzette » et aux Éditions Triomphe en 1996), Sir Jerry apparaît comme un détective habile et acquiert tout de suite le statut de défenseur idéal de la justice et de la lutte manichéenne contre le Mal. Certes, il doit beaucoup à la fois à Arsène Lupin et à Sherlock Holmes, copié jusque dans l’usage de la pipe, mais ses actions sont si parfaites dans leur déroulement méthodique, impassible et ordonné, que le personnage agacerait sûrement les lecteurs et lectrices d’aujourd’hui. Ils s’intéresseraient davantage aux enfants qui participent aux enquêtes au point d’appartenir bientôt à « L’École des détectives », laquelle école concrétise de plus en plus clairement leur collaboration, au fil de la série.
Certes, les intrigues paraissent bien naïves mais l’initiative est d'autant plus remarquable que le roman policier est alors méprisé et le plus souvent exclu des livres juvéniles, tant il suscite la méfiance dans l'enseignement et chez les spécialistes des livres pour la jeunesse.
Toutes ces énigmes policières sont parfois aussi invraisemblables qu’elles sont inoffensives, tant les faits sont dépouillés de toute violence. Pour dédramatiser davantage l’action qui ne débouche jamais sur la mort, même celle du « méchant », Mad H. Giraud va plusieurs fois, au cœur de ses récits, jusqu’à se moquer du genre policier. Un nouvel épisode de cette série paraît alors chaque année jusqu’au début de la Deuxième Guerre mondiale.
Se succèdent régulièrement, après Sir Jerry détective en 1935, Les Étranges vacances de Sir Jerry (1936, rééditions en 1949, 1953 et 1960), Sir Jerry et l’affreux Léonard (1937, rééditions en 1948, 1961 et 1995), La Mystérieuse disparition de Sir Jerry (1938, rééditions en 1944, 1945, 1951, 1964 et 1997), L’Inévitable Sir Jerry (1939, rééditions en 1942 et 1995) et La Périlleuse mission de Sir Jerry (1940, rééditions en 1949, 1952 et 1995). Dans la « Nouvelle Bibliothèque de Suzette » (parfois nommée « Bibliothèque bleue », en 1960, l’illustrateur Georges Pichard remplace Manon Iessel pour illustrer la série policière de Mad H Giraud, "Sir Jerry", est entièrement rééditée.
Les rééditions des années 90 doivent être portées au crédit des Éditions Triomphe. Si chaque épisode propose la résolution d’une énigme policière plus ou moins crédible, il va de soi que toutes les actions sont aseptisées pour les jeunes filles de bonne famille.
Après la guerre, on peut lire le dernier récit de la série, paru chez Gautier-Languereau, intitulé Jerry dans l’ombre (1948, réédition en 1954), quand Sir Jerry entre dans la Résistance. La série s’achève en 1949, lorsque les Éditions des Deux mondes publient Sir Jerry et les Philippines, illustré par Manon Iessel (1909-1985), comme l’étaient les premières éditions des divers épisodes, agrémentées d’illustrations intérieures en noir et blanc de cet auteur. Ces mêmes Éditions des Deux mondes publient aussi en 1950, dans la même « Collection Sir Jerry Détective », une curiosité due à la prolifique Henriette Robitaillie. Il s’agit du récit intitulé L’Étoile et le détective (généralement non répertorié dans les œuvres de l’auteur), illustré par Françoise Bertier.

jeudi 27 janvier 2011

Histoire du polar jeunesse


Illustration de couverture : Renaud PERRIN

Publication très prochaine de mon essai :

HISTOIRE DU POLAR JEUNESSE

ROMANS ET BANDES DESSINEES


Aux Editions de L'Harmattan
5-7, rue de l’École Polytechnique 75005

ISBN : 978-2-296-54156-6
254 pages Format : 15,5 sur 24 cm

Enfin une Histoire du roman policier pour la jeunesse, rendant compte avec précision de l’évolution, de la grande richesse et de la variété d’un genre finalement admis dans sa diversité et sa légitimité !
Non seulement le polar jeunesse existe mais il manifeste aujourd’hui une belle vitalité, tant par sa présence dans des collections « noires » et spécifiques que dans les collections généralistes où figure souvent l’étiquette policière.
Certes l’Histoire du genre dans le domaine juvénile, d’abord clandestine, différée par rapport à celle du polar adulte, a dû d’abord ruser avec les censeurs de tous bords qui voulaient soit l’exclure, soit la réduire à des récits d’aventures jugés puérils ou purement distractifs. Vint le temps des séries d’abord anglo-saxonnes puis françaises, mettant en scènes des enfants enquêteurs, le plus souvent en petites bandes, sous le contrôle strict de la loi du 16 juillet 1949.
La mutation capitale se produit lors de la naissance, chez Syros, de la collection « Souris noire » faisant appel aux meilleurs auteurs pour adultes. Elle démontre que le polar peut s’ouvrir au monde actuel et à la réalité quotidienne, au prix de quelques précautions, ellipses ou métaphores.
Depuis 1986, les collections du genre, les séries mettant en évidence héros et héroïnes du polar et les œuvres autonomes se sont multipliées, s’ouvrant à toutes les variantes du polar, y compris le pastiche et la parodie.
Peu à peu, le policier jeunesse s’est affranchi des frontières de l’âge et du genre en flirtant ouvertement avec le roman historique, fantastique ou même de science-fiction, tout en prenant parfois comme support l’album illustré ou de bande dessinée, le manga ou le livre interactif et ludique.
L’intégration d’œuvres policières dans les listes de lectures de l’Éducation Nationale, au collège puis à l’école primaire, a favorisé la légitimation d’un genre dont le rôle éducatif et pédagogique est aujourd’hui reconnu.


Table des matières réduite

Un premier aperçu rapide (5)

I Le long purgatoire d’un « mauvais genre » (13)

II Les énigmes policières des années 50 (29)

III Les « séries » à « mystères », traduites ou françaises (34)

IV Années 60 et multiplication des personnages de série (49)

V Années 70 et timides collections policières (65)

VI Années 80 : vers une légitimité irréversible du polar (77)

VII Années 90 : Classiques et nouveautés entrent dans les collections policières (105)

VIII Un polar jeunesse désormais sans frontières (129)

IX Le polar juvénile, au début du XXIe siècle (163)

X Des collections policières mutantes ou nouvelles (209)

Histoire sans fin d’un genre apprécié (231)

Héros, héroïnes et personnages des séries du polar jeunesse (233)
Bibliographie générale. Ouvrages consultés (237)
Index non exhaustif des noms de personnes (241)

Extrait de la 4e de couverture:
Depuis qu’il a publié en 2001, la première édition d’Un siècle de fictions pour les 8 à 15 ans, l’essayiste Raymond Perrin a poursuivi ses travaux d’historien des livres et des journaux pour la jeunesse. Ses livres, tels que Littérature de jeunesse et presse des jeunes au début du XXIe siècle et Fictions et journaux pour la jeunesse au XXe siècle, publiés chez l’Harmattan, sont devenus des ouvrages de référence incontournables.
Collaborateur de plusieurs dictionnaires, sur le roman populaire francophone, les littératures de l’imaginaire et la littérature de jeunesse, l’auteur a aussi publié articles et dossiers sur le romancier Pierre Pelot et le poète Arthur Rimbaud, ce dernier bénéficiant en outre d'un essai.

Maquette et illustration de couverture : Renaud Perrin

mardi 25 janvier 2011

Hommage à Michel Grimaud (2)


8 polars et un récit fantastique

HOMMAGE A MICHEL GRIMAUD (Marcelle Perriod et Jean-Louis Fraysse)
2e partie

Les Grimaud et le polar jeunesse


Les Grimaud vont s’illustrer dans le polar jeunesse, surtout depuis le début des années 90.
Le couple, maître de la S-F et du roman social, casse ainsi l’image restrictive acquise par la pratique de ces genres, dès le roman L’Assassin crève l’écran (1991), dans la collection "Cascade policier", chez Rageot. Le journaliste Oliver Beaumont, venu interviewer les vedettes d’un film à sensation, les découvre assassinées les unes après les autres. Jouant au détective, il va tenter de comprendre les raisons de cette hécatombe. Le commissaire Magnan est alerté pour éviter la confrontation risquant d’être fatale entre Oliver et l’assassin.
On doit aussi à Michel Grimaud, dans la même collection, Chapeau les tueurs ! (Quatre des sept propriétaires d’un domaine succombent successivement d’une mort violente. Le journaliste Pascal Vidal traque des tueurs à gage à ses risques et périls). Toujours dans "Cascade policier", le couple d’auteurs a encore publié Drôles de vacances pour l’inspecteur, Règlements de compte en morte-saison et Une ombre sur le toit (2002), avec un scénario policier crédible, proposant une image positive de la police.
Dans la collection « Castor poche Flammarion », dans L’Inconnu du frigo (1997), le couple s’attache au sort d’un inconnu blessé découvert par Désiré et Jeny dans un vieux frigo. Poursuivi par des trafiquants, il n’a pas trouvé d’autre cachette…
Chez Gallimard Jeunesse, « Page noire », parmi les romans publiés en 1997, publie Le Meilleur détective du monde de Michel Grimaud, parodie de romans à énigmes anglo-saxons.
La collection « Heure noire », née en 2002, chez Rageot, publie beaucoup de titres réédités. Par exemple, en 2002, Une ombre sur le toit de Michel Grimaud est une réédition de la collection « Cascade Policier ».
Michel Grimaud avec Cache-cache mortel (2003), dans la collection « Hors-piste », chez Gallimard Jeunesse, construit un polar crédible en renouvelant le thème du bandit protégé. En rentrant chez lui, Jérémie qui vit seul avec sa mère Loulou, partie ce soir-là chez des amies, se trouve face à un inconnu blessé. Dominant sa peur, il accepte de le cacher. Quand elle est mise dans la confidence, après la visite de la police, sa mère encourage Jérémie à parler à l’inconnu. Il faut bien qu’il apprenne à connaître et à aimer son père, ce qu’il aura le temps de faire entre les visites de la police et celles des gangsters !

Le couple a ainsi publié plus de 35 livres pour la jeunesse sans tenir compte de courtes histoires et de récits pour les plus jeunes (comme Les Vacances de Madame Nuit en 1978, Le Grand Voyage d'Alexandre Tolpe en 1979 et Les Contes de la ficelle en 1982, un livre devenu Les Aventures de la ficelle, chez Castor Poche Flammarion. Notons encore Les Palaplafs, récit humoristique publié à La Farandole (1985) et deux courts récits d'abord parus chez Bayard dans la revue J'aime lire : L'Enfant de la mer (1986) et Le Coffre magique (1989)
Bien sûr, l’approche des livres « jeunesse » qui exclut de parler d’œuvres majeures dans le domaine de la science-fiction, comme Malakansâr, La Dame de cuir et L’Arbre d’or, étrange et envoûtant récit qui ressortit à la fantasy, est évidemment réductrice.

Je vous invite à lire les autres hommages parus ou à paraître.

Hommage à Michel Grimaud




Marcelle Perriod, la compagne de Jean-Louis Fraysse (le couple étant connu sous le pseudonyme de Michel Grimaud), vient de nous quitter le samedi 22 janvier.

Ces romanciers sont à la fois si discrets et modestes qu'il est temps de leur rendre un juste hommage.

HOMMAGE A MICHEL GRIMAUD (Marcelle Perriod et Jean-Louis Fraysse)
1ère partie

Des romans historiques aux romans sociaux engagés


Les premiers livres publiés n’illustrent pas encore les thèmes chers aux auteurs : liberté individuelle, lutte contre le racisme, révolte, respect de la différence, urbanisation et pollution, fascisme et combat pour la libération des peuples…
C’est en 1971 que naît « Safari-Signe de Piste », la maison Alsatia s’étant associée avec Hachette pour la diffusion exclusive d’ouvrages. De nouveaux auteurs ont un esprit, à priori, bien éloigné de celui des anciens. En 1971, le couple Michel Grimaud amorce le cycle préhistorique : Les Aventures de Rhôor avec Rhôor l’invincible, suivi de Rhôor et les pillards. La même année, le couple a aussi publié dans « Plein Vent » en 1971, le roman intitulé Amaury Chevalier cathare.
. N’oublions pas le récit Des hommes traqués, au Chili du temps d’Allende, paru dans « Plein vent », en 1975 (réédité dans la collection « Les Couleurs de l’Histoire », chez Actes Sud Junior sous le titre : Les Larmes de la Terre).
En 1970, une des premières collections de livres de poche de la future décennie, pour les jeunes, est créée par Hatier et G.-T Rageot, des éditeurs qui donnent le jour à la collection « Jeunesse poche » (1970-1974). Une part de son originalité vient du développement des sections abordant des genres jusqu'alors encore un peu suspects dans le secteur jeunesse. Par exemple, l'aventure est représentée par Les Pirates de Bornéo de Michel Grimaud, en 1972.
Aux Editions G.P., la collection « Spirale » née en 1959, s'ouvre à des genres auparavant considérés comme illégitimes, comme le western et la science-fiction, et aborde les réalités historiques anciennes ou contemporaines. Ainsi sont publiés William Camus, Pierre Debresse, Christian Grenier et Michel Grimaud réhabilitant Les Insoumis de Terre-Neuve (1976).
Michel Grimaud fait partie des auteurs qui ont profondément renouvelé la littérature pour adolescents au début des années 1970.
Ce sont les adolescents de 13 à 16 ans que vise la collection « Les Chemins de l'Amitié », dirigée par Catherine Scob, aux Editions de l'Amitié-G.T.-Rageot, en 1973. Michel Grimaud, qui y publiera plusieurs récits engagés, tel Le Paradis des autres (devenu La Terre des autres, un roman très primé), ne craint pas de montrer un immigré algérien et son fils en butte au racisme ordinaire des habitants d'un village du Sud de la France. (Que la citation anachronique et malicieuse de ce roman, par Daniel Picouly dans Le Champ de personne, pour évoquer un souvenir d’enfance remontant à la fin des années 50 et évoquant une improbable dictée extraite du roman La Terre des autres, n’ait suscité aucune remarque critique montre assez la méconnaissance générale de la littérature jeunesse.) Le récit antiraciste, très vite devenu, Le Paradis des autres est réédité dans la collection « Les Maîtres de l'aventure »
La collection « Les Chemins de l'Amitié » a aussi accueilli Pourquoi partir ? (1974), Soleil à crédit (1975) tandis que la collection « Grand Angle », chez G.P. publiait en 1976, Une chasse en été. (Seul, le récit Une chasse en été est réédité par La Farandole en 1988).

Alors que vient de se constituer le Centre national des Lettres et de la Direction du livre, on assiste en juin 1975 à la Fondation de la Charte des auteurs pour la jeunesse par Christian Grenier, le père fondateur, assisté de William Camus, Jean Coué, Béatrice Tanaka, Michel Grimaud, Jean Ollivier, Pierre Pelot et Bertrand Solet.


Les récits de science-fiction et les romans fantastiques

Dans les rares récits français conjecturaux de cette collection « Plein vent », on doit citer La Ville sans soleil (1973), de Michel Grimaud, un récit écologique visionnaire et très vraisemblable, préfacé par Alain Bombard, évoquant déjà un site industriel atteint par la pollution
La collection « Jeunesse poche » range encore dans "l’anticipation" Le Peuple de la mer de Michel Grimaud, en 1974.
Mais en 1977, deux collections mémorables de S-F vont voir le jour. D'abord la collection « L'Age des étoiles », entièrement consacrée à la science-fiction, chez Robert Laffont (1977-1979), animée par Karin Brown et Gérard Klein. Michel Grimaud, avec L'Ile sur l'Océan Nuit (dont les couvertures sont illustrées par Jean-Claude Mézières), réclame justice pour les victimes du colonialisme. La 2e collection, « Travelling sur le futur », née chez l'éditeur belge Duculot, développe aussi la S-F., et vise encore le public des 13/17 ans. Michel Grimaud défend un univers écologique avec Les Esclaves de la joie, avant d'évoquer Le Temps des gueux, (réédité chez Mijade en 2010, sous le titre Le Récupérateur).
La collection susceptible de changer les mentalités, c'est « Folio Junior S-F », que propose à Pierre Marchand et anime le spécialiste de S-F Christian Grenier. Il le raconte fort bien en 2004 dans Je suis un auteur jeunesse (paru chez Rageot).
La vraie nouveauté dont Grenier a été le seul lecteur avant parution, c'est Le Tyran d'Axilane (1982) du couple caché sous le pseudonyme de Michel Grimaud, un récit jouant avec l'espace et le temps et d’où la poésie est loin d’être absente. C'est Enki Bilal qui illustre la couverture de ce roman au succès mérité.
Aux éditions La Farandole, dans la collection « L.F. Roman », paraissent Le Jour du Gombo (1982) et Le Passe-Monde (1986).
Chez Hachette, en 1996, dans « Vertige fantastique », parmi les nouveautés françaises, relevons Le Fantôme des Cassegrain de Michel Grimaud, alliant harmonieusement Histoire, fantastique et humour. Dans la collection « Folio junior », en 2000, paraît Le Violon fantastique (une façon de rappeler l'importance de la musique dans la destinée du couple des Grimaud).
Si la collection « Travelling », est née chez Duculot en 1972, c’est seulement en 1992 qu’elle accueille Coup de cœur, un roman trop peu connu du couple.

vendredi 7 janvier 2011

Les Crises de croissance de PILOTE dans LE ROCAMBOLE


Le Bulletin des Amis du Roman populaire", Le Rocambole, vient de publier le numéro double 52/53 (automne-hiver 2010) consacré aux Illustrés pour la jeunesse, un sujet qui avait donné lieu à des exposés effectués à Amiens à la fin de l'année 2009. J'ai eu la chance d'y participer et une synthèse du montage présenté paraît dans ce numéro .
Le copieux numéro 52/53 présente L'Epatant (dont "la fabuleuse histoire" est longuement contée par Jean-Louis Touchant) et Fillette, La Semaine de Suzette, Siroco, Vaillant et Pif et Pilote.

Lisez et faites lire Le Rocambole ! (Rédaction A.A.R.P., BP 20116, 80001 Amiens cedex 1)
contact@lerocambole.com

Voici un résumé de l'article paru dans les pages 245-290, avec dix illustrations pleine page en noir et blanc (voyez plus haut neuf illustrations en couleur).

LES CRISES DE CROISSANCE DE L'HEBDOMADAIRE "PILOTE" (1959-1974)

Le journal Pilote présente sans doute la particularité unique d’avoir changé de lectorat, soit insensiblement, soit à travers des crises qui échappent le plus souvent à la perception du lecteur, pour passer en 15 ans des préadolescents aux adultes, en évoluant sans cesse au fur et à mesure que les premiers lecteurs avançaient en âge.

Tribulations préalables de quatre mousquetaires

Fin 1955-début 1956, René Goscinny, Albert Uderzo, Jean-Michel Charlier et Jean Hébrard (surnommé parfois « le quatrième mousquetaire »), fondent Edi-France/Edi-Presse (la 1ère pour la publicité, la seconde pour la presse. Ils participent à Pistolin, sorte de galop d’essai avant Pilote. Le projet d’un nouveau périodique est envisagé, en 1958, par François Clauteaux, Raymond Joly, Jean Hébrard, Jean-Michel Charlier, René Goscinny et Albert Uderzo.

Naissance du journal Pilote

Le 29 octobre 1959, à grand renfort de publicité, toutes les dix minutes, sur les ondes de Radio-Luxembourg, durant toute la journée, le premier numéro de Pilote sort en kiosque. Jean Hébrard est le directeur de la publication, François Clauteaux est rédacteur en chef, Raymond Joly, rédacteur en chef adjoint. Jean-Michel Charlier est directeur artistique et René Goscinny secrétaire de rédaction. Albert Uderzo est chargé des bandes dessinées, de la maquette. Pilote résulte donc de la triple association d’une radio et de ses représentants, d’un quatuor de personnes compétentes en matière de bandes dessinées et de deux imprimeurs provinciaux René Ribière et Charles Courtaud apportant des fonds. Au départ, Pilote est loin d’être un pur magazine de bande dessinée et son contenu n’a rien de révolutionnaire. Les bandes dessinées sont à 100 % francophones (beaucoup d’auteurs viennent de la bande dessinée belge).
C’est typiquement le journal des baby-boomers, nés entre 1945 et 1953 et c’est le magazine de la croissance économique des Trente Glorieuses.
Le rédactionnel est surtout assuré par les journalistes vedettes de Radio-Luxembourg : Lucien Barnier, Jean Carlier, Gilbert Cesbron et Lucien Combelle (signant Lucien François). Interviennent Pierre Bellemare, Jean-Paul Rouland, Jacques Bénétin, Brigitte Muel, André Bourrillon, François Clauteaux et son fils adoptif Rodolphe, vedette de la radio promu par Remo Forlani (co-auteur des aventures radiophoniques de Rodolphe), pour le shampoing Dop.


Après la première crise financière de 1960, une deuxième naissance

Piégé par les NMPP qui gardent les invendus avant de les rapporter en bloc et ont tendance à retarder leurs paiements, le journal est endetté. Courtaud et Ribière des Presses de Montluçon retirent leurs capitaux. Le journal est vendu pour 1 franc symbolique à Georges Dargaud, propriétaire de Pilote dès le n° 60. Goscinny est nommé directeur de la rédaction et Charlier devient directeur artistique.
Parce que la revue Hara-Kiri connaît une première « interdiction à l’affichage » en 1961, Cabu est embauché à Pilote par Goscinny dès 1962.


Le choix d’un public adolescent et le chant dangereux des sirènes « yé-yé »


Le magazine Salut les copains suscite des envies de copier une formule qui réussit et Marcel Bisiaux, rédacteur en chef en janvier 1962, veut adapter Pilote à la nouvelle mode en faisant intervenir vedettes de la chanson et animateurs proches de ce courant. C’est une lourde erreur car les lecteurs, dont on a sous-estimé le goût et l’intelligence, ne suivent absolument pas.


Fin 1963 : Troisième naissance d’un « vrai » journal de bandes dessinées, Goscinny et Charlier aux commandes

Fin 1963, Dargaud renvoie Bisiaux, menace de saborder Pilote et appelle Goscinny et Charlier pour sauver le journal. Ils deviennent corédacteurs en chef en septembre (Charlier jusqu’en octobre 1972). Pilote devient un véritable journal de bandes dessinées et fait appel à davantage d’auteurs de la bande dessinée française.
Bientôt, dans la grande presse, éclate le « phénomène Astérix ». Le premier satellite français est baptisé Astérix. L’Express met en évidence Le Phénomène Astérix sur une de ses couvertures, un peu avant Le Nouveau Candide.

Le premier âge d’or de Pilote

En juin 1966, suite à l’intervention de Madame De Gaulle, le magazine satirique Hara-Kiri subit sa deuxième interdiction, laquelle va durer jusqu’en janvier 1967. Jean-Marc Reiser et Gébé, sans situation, s’adressent à Goscinny sur les conseils de Cabu. Gébé, alias Georges Blondeau, un des fondateurs de Hara-Kiri, lancé en septembre 1960, entre donc à Pilote en 1966. Reiser et Gébé écrivent d’abord des scénarios avant de pouvoir publier leurs propres créations dessinées.
Pilote entre dans son premier « âge d’or » en 1966.
A l’automne 1967, le rédacteur en chef René Goscinny devient directeur de Pilote à la place de Dargaud. Cette période éclectique est marquée par une intense créativité et une forte émulation et des personnalités très diverses s’affirment.


Les répercussions des événements de Mai 68 : la première rupture

Le journal Pilote, connaît une crise grave, consécutive aux événements de mai 1968. Entre fin mai et juin, victime des grèves d’imprimerie, le journal ne paraît pas. Pilote ne pouvait échapper à l’atmosphère de contestation généralisée.
Par un malheureux concours de circonstances, Goscinny, qui vient d'ailleurs d'être père et semble éloigné de l’état d’esprit ambiant, se retrouve dans un bistrot parisien face à une rédaction surexcitée et transformée en une sorte de tribunal.
Il éprouve l'impression de tomber dans un guet-apens. C’est d’autant plus injuste que Goscinny a toujours considéré les dessinateurs comme des auteurs à part entière. Il leur a mis le pied à l’étrier et leur a donné carte blanche.

Un « monstre tricéphale » et la naissance des pages d’actualité

Après des semaines qui apaisent les esprits et permettent aux « mutins » de faire amende honorable, Pilote devient une sorte de monstre administratif tricéphale. Gérard Pradal est plus spécialement chargé des plannings et des relations avec les auteurs, (qu'il ne craint pas de rabrouer) et Charlier est nommé rédacteur en chef littéraire. Il recevra les scénaristes tandis que Goscinny qui se charge plutôt de la partie graphique réunit son petit monde à qui il propose « un journal de type nouveau, avec prise directe sur la vie, réunions de rédaction, pages d'actualité, etc. ». Il s’agit de concevoir 4 ou 5 pages d’actualité traitées sous formes de gags plutôt visuels. C'est donc à partir de 1968 que, dans un journal « qui s'amuse à réfléchir », vont se développer davantage, car ils étaient déjà présents, les thèmes d'actualité traités par des équipes très diverses. Les satiristes professionnels et les humoristes se sentent plus à l’aise que d’autres auteurs.

Bande dessinée classique et dessin satirique peuvent-ils cohabiter ?

Une première coupure s’opère entre les représentants de la bande dessinée classique, humoristique et réaliste et les dessinateurs satiriques, surtout attirés par le traitement caricatural de l’actualité, tels les membres venus de Hara-Kiri. De plus en plus, nous sommes loin de l’illustré classique pour la jeunesse et Goscinny aide ainsi la bande dessinée à accéder à l’âge adulte.
De nouveaux talents, très divers tant sur le plan du style graphique que des idées, ne sont fédérés que par l’approbation d’un Goscinny, immense découvreur, qui regarde attentivement ce qu’ils font, encourage et conseille.
Il faut attendre l’émission radiophonique Le Feu de camp du dimanche matin diffusée sur Europe 1 en 1969, pour avoir l’impression plus ou moins juste de voir renaître la « joyeuse bande de copains ». Goscinny y retrouve alors Fred, Gébé et Gotlib mais l'émission est éphémère. En 1971, les dossiers thématiques prennent parfois la place des pages d’actualité.

1971 : Une crise qui met à jour des contenus antinomiques

Une polémique, grave de conséquences plus ou moins lointaines, a affecté le journal Pilote, mis en cause par un article du journal Le Monde et objet d'une attaque d'une grande virulence par Cavanna dans Charlie Hebdo.

« Bonne fête monsieur le président »

Le 22 avril 1971, pour le numéro 598, l'équipe a travaillé sur le thème de la Saint Georges. Elle fête le président Georges Pompidou à qui elle consacre huit pages d'illustrations, parfois caustiques, en tout cas dénuées de complaisance. Cet hommage mi-figue, mi-raisin est constitué de 18 portraits-charges étalés sur 3 pages en noir et blanc, d'un dessin montrant l'équipe de Pilote caricaturée et groupée autour du président photographié, de deux caricatures pleine page en couleur signées Ricord et Mulatier, plus huit caricatures plus ou moins grinçantes. Morschoine a droit à la 4e de couverture, ornée d'un portrait présidentiel pleine page, soit au total, « la bagatelle de vingt-neuf portraits » !


« M. Pompidou épaule Astérix »
Dans la rubrique « Politique », le 8 septembre 1971, on peut lire en haut de la page 6 du journal Le Monde, en gros caractères : « M. Pompidou épaule Astérix ». C'est par ce titre provocateur que le chef politique du quotidien parisien du soir commence un long article accusant Pilote, « le journal que l'on croyait destiné aux enfants », de « récupération », avant tout commerciale, de la politique. Pilote est qualifié, dans une réduction polémique et caricaturale, à n'être que « le journal aux vingt-neuf portraits présidentiels ».
L'accusation la plus percutante de M. Bergeroux consiste à dire que Pilote est coupable de « la "récupération" de la politique et de récupération commerciale avant tout ». Après avoir affirmé que « Reiser et Cabu donnent à Pilote ses dessins de noblesse du côté de la contestation et du non conformisme », Noël-Jean Bergeroux met le doigt avec lucidité sur la particularité d'un journal qui veut à la fois élargir son public tout en gardant « la clientèle des enfants » (le terme
" adolescents " serait plus approprié).
Cette critique met en évidence la situation ambiguë et peu confortable d'un journal qui a peu à peu changé de tranche d’âge sinon de lectorat. Beaucoup de dessinateurs de Pilote, engagés dans « la recherche d'une nouvelle formule », à la lecture de la critique du Monde montrant un journal en porte-à-faux avec son public, voient s'accroître leur malaise. De fait, Pilote est un journal désormais bâtard.
La dernière charge de M. Bergeroux vaut d'être citée. Le magister écrit du haut de sa chaire :
« Au demeurant, l'apport de ce journal à la presse dessinée et à l'humour n'est sans doute pas négligeable et sa tentative d'adéquation à une société - donc à une clientèle - en mutation, mérite d'être suivie avec curiosité. »

La riposte de Pilote orchestrée par Goscinny

Il était évident que la page polémique de M. Bergeroux ne pouvait laisser les auteurs de Pilote indifférents. Goscinny a réuni ses collaborateurs « aussi outrés que lui », assure-t-il, (mais on peut en douter), à qui il expose « les trois façons de réagir : ou bien on laissait tomber, ou bien j'écrivais une lettre d'engueulade au directeur du Monde ou bien on répondait dans le journal. Tout le monde a opté pour la troisième solution. » De toute façon, avec le recul, en répliquant dans les pages du journal, on peut dire que l'équipe de Pilote, (manifestement sous la pression insistante de son directeur), a fait le plus mauvais choix, la meilleure solution étant sans doute de ne rien faire. Pilote répond le 30 septembre, sous le titre « Editorial », composé avec les caractères de la manchette du Monde. Il publie huit pages de textes et de bandes dessinées sur les « récupérateurs », avec pour sous-titre principal : « Astérix épaule ses confrères ce qui n'est pas rien, vu le fric et les relations qu'il a. ».

Cavanna, « l'autre qu’on n’avait pas sonné ... »

Or l'affaire s'envenime le 11 octobre. « C'est à ce moment que l'autre que l'on n'avait pas sonné, y est allé à boulets rouges, par tous les moyens, y compris les plus bas en nous faisant incontestablement beaucoup de mal. » C'est ainsi que le directeur de Pilote parle de Cavanna, lequel dans Charlie Hebdo n° 47, intervient tardivement mais méchamment, en tout cas après la riposte du journal Pilote, ce qui est rarement rapporté dans la relation chronologique des faits.
Le directeur de Charlie-Hebdo s'étonnait d'abord qu' « un nommé Jean-Noël Bergeroux (sic) disait du bien de nous ». Or, « dans la page un peu plus loin, il parlait de "Pilote". Comme repoussoir. Mais si, voyons, "Pilote", vous savez bien : ce truc dans le genre "Pif le Chien" mais chef d'escadrille. Ce mal qu'il en dit ! Il a vraiment beaucoup de goût, Bergeroux. Il sait même reconnaître ce qui est caca. » Il fallait une étonnante mauvaise foi pour traiter ainsi un journal qui était à son apogée et apparaissait objectivement comme le meilleur journal de B.D. de tous les temps. Cet article au vitriol de Cavanna (où perce manifestement un sentiment très fort de jalousie) va contraindre certains dessinateurs à choisir leur camp. En fait, Cavanna envenime cette "querelle de boutique" pour faire revenir au bercail exclusif de Charlie-Hebdo, les transfuges Cabu et Reiser qu'il a embauchés le premier, dès 1960. Ils vont quitter définitivement Pilote en février et mars 1972 alors que Goscinny va croire qu'ils allaient rester. Gébé est déjà rentré depuis le mois de mai 1971. Des participations nouvelles donnent un nouveau ton au journal Pilote.

1972 : L’éclatement de l’équipe, parricide et nouvelles créations

Les conséquences de la polémique de 1971 ne s'arrêtent pas là. Des auteurs, fortes personnalités du journal, vont être troublés par ces petits événements. Pilote serait menacé par un risque d’implosion si un apport d’auteurs nouveaux et talentueux ne venaient pas contrecarrer cette situation critique. Parmi les auteurs perturbés, il y a Jean Giraud et Gotlib plutôt d'accord avec l'analyse de Noël-Jean Bergeroux. Nikita Mandrika a des relations de plus en plus tendues avec Goscinny et décide de fonder son propre journal. Brétecher ne tardera pas à entendre elle aussi le chant des sirènes rebelles ! Nikita Mandrika, rejoint par Gotlib (qui collabore déjà à Rock and Folk avec Hamster jovial) et Claire Bretécher, très liée aux deux autres « iconoclastes », fondent L’Echo des savanes, au contenu tout aussi scatologique que jubilatoire.

Grandeur et décadence d’un hebdomadaire en constante mutation

Pour Patrick Gaumer, dans « Les Années Pilote », l’année 1973 est une année transitoire, pleine de doutes et d’incertitudes. Il évoque « quelques crises de nerf, des portes claquées et autres disputes », en un mot, « un climat pesant ». Des séries disparaissent du journal : Astérix, Blueberry. Les aventures du cow-boy solitaire paraîtront dans son propre support, le mensuel Lucky Luke. Guy Vidal qui va distinguer une partie « variétés », une partie « magazine » et une partie « bande dessinée et illustration », remplace Gérard Pradal et, en novembre 1973, apparaît Le Nouveau Pilote.
En 1974, l’hebdomadaire qui va céder la place au mensuel, destiné aux adultes, « connaît des derniers soubresauts ». Une certaine originalité ne sauve pas l’hebdomadaire et Pilote mensuel, « journal à part entière de la presse adulte », naît en juin 1974. Racheté par le groupe Ampère alias Média Participations, il disparaîtra, sans surprise, en novembre 1989.
Goscinny, davantage intéressé par le cinéma, va s’éloigner de la direction de Pilote. Il la quitte officiellement en 1974. Charlier quitte aussi les éditions Dargaud en 1974. C’est aussi cette année-là qu’apparaît pour Goscinny une sorte de revanche puisque l’aventure d’Astérix, Le Cadeau de César, est prépubliée dans le journal Le Monde.