jeudi 14 février 2019

Braves gens du Purgatoire de Pierre Pelot, ultime roman montagnard vosgien


Braves gens du purgatoire, dernier roman montagnard vosgien de Pierre Pelot

Un récit difficile à apprivoiser

Le dernier roman publié de Pierre Pelot ne s’apprivoise pas facilement. Il demande une lecture d’autant plus attentive que se mélangent les époques, les personnages et leurs mémoires multiples et entremêlées, les lieux, même s’ils se  limitent aux Hautes Vosges et à une partie de l’Alsace.
Les descriptions méticuleuses, détaillées comme si elles devaient à tout prix empêcher l’oubli, se font dans des phrases très développées et au moyen d’une langue parfois emberlificotée, voire précieuse ou archaïque (Merci, Monsieur Littré) qui laisse aussi sa part au patois local et aux niveaux de langue multiples, du plus grand  style au niveau le plus familier.
Passés ces obstacles, en plus d’une généalogie compliquée des personnages : Joshua et Kate Bansher venus d’Amérique en 1889, les Dérandier, les Calvin, les Rouy, tant leurs géniteurs sont inconnus ou extérieurs aux couples officiels, (corrigeant en partie la consanguinité de ces vallées en cul-de-sac). On doit se repérer dans des lieux tantôt urbains (comme l’usine au toit « à dents de scie »,  « la « boîte » comme l’appellent ceux qui en sont le contenu »), mais variant au rythme des mutations économiques, tantôt plus souvent ruraux, au coeur des forêts de sapins et d’épicéas, des « corrues » de débardage de bûcherons et des torrents, sous diverses époques ou saisons.      
Ajoutez à cela les ruses d’un romancier qui non seulement disperse des éléments autobiographiques généreusement attribués à divers personnages plus ou moins proches de lui, comme Simon, Adelin et Quentin, sans oublier une fiction dans la fiction créant l’autre romancier anarchiste et teigneux Michaël, un autre double fictionnel qui écrivait « des histoires de péquenots (...) avec des personnages de terre et de pierre dure », et vous obtenez un roman dont la lecture réserve beaucoup d’émotions nouvelles et intenses et requiert une attention de tous les instants.


            Certes, si Pelot est un raconteur d’histoires, on peut se demander si l’intrigue est bien l’essentiel. En effet, alors que la mort du Vieux Maxime Bansher, « l’homme des loups », bûcheron et sagard, et de sa compagne Anne-Lisa (depuis la mort de son épouse « la bohémienne » Léna), paraît bien mystérieuse, le 2e chapitre détruit le suspense puisqu’il montre leurs deux assassins en action.              
Si des mystères demeurent : disparitions inattendues, ossements humains retrouvés, rôdeurs aux errances imprécises, peut-être faut-il plutôt se concentrer sur les quelques personnages hauts en couleurs, même si ce sont des « gens de peu » car ce sont eux qui construisent la véritable histoire.      
Il y a d’abord Simon Clavin, l’écrivain de la Grand’Goutte et la mémoire des lieux, au « regard étréci », bourru, malade et vieillissant, dont le fils est mort d’une rupture d’anévrisme cataclysmique, « fauché net, dans sa ville en paix ». (Il doit beaucoup à son créateur). Sa petite nièce, Lorena Bansher, petite fille de Maxime et fille d'Adelin, cavalière de talent, compagne du Jurassien Justin, discret et protecteur, veut que Simon l’aide à connaître la vérité sur toute sa famille.
Parmi les Rouy, le plus original est Henri, surnommé Zébulon, plus doué pour jouer le « lapin à vélo » en poussant des yodels tyroliens, que pour l’industrie textile. Il sillonne vallées et collines en quête des rôdeurs et connaît des secrets que les autres attribuent à son esprit perturbé.  



Un village qui ressemble fort à celui de Saint-Maurice-sur-Moselle
    
Quels que soient les artifices de la fiction et même s’il s’agit d’un « roman » (donc d’un récit où l’on ne doit pas normalement chercher des éléments « entre les lignes »), il est plus qu’évident que le village de Purgatoire est peu ou prou celui (en étoile variant de 3 à 5 branches) de Saint-Maurice-sur-Moselle (comme il était déjà au coeur de plus de 30 récits pelotiens).
On reconnaît dans « les quatre vallées [qui] formaient le centre de l’étoile labourée dans les vieilles montagnes, le cœur de Purgatoire » (p. 106) « sous les sommets aplatis du massif de Servance ». Pelot évoque les jeux autrefois des gamins et gamines « issus des quartiers et écarts divers bourgeonnant sur les trois vallées en étoile ainsi qu’à leur jonction, au coeur même de Purgatoire… »  (p. 186)
Simon et son fils Quentin apprécient tous les cours d’eau de Purgatoire : « la Moselle jeunette franchissable en trois bonds, l’Agne des Charbonniers, le Rû de Presles, les gouliches des Feignes. » 
On peut même, grâce à la course folle vélocipédique de Zébulon, passer de la place de l’église à « la rue pentue du village », au carrefour, à « la route nationale » « poursuivie jusqu’à la route perpendiculaire » « vers le quartier des Ajoncs » (ou des Ajols !), « traversant l’ancienne voie ferrée transformée en voie verte ».


Il est aisé de reconnaître la place de l’église, la boulangerie et la mairie proche, un peu plus haut, l’ancien cinéma « Domino », le cimetière où sont civilement enterrés Maxime et Anne-Lisa. le café de Maria. Bien plus haut, l'emplacement des anciennes scieries et de leurs grumes et la maison de Simon au fond du Goulot cul-de-sac, dans la vallée rétrécie de la Grand’Goutte.
Des va-et-vient nombreux se font entre les Hautes Chaumes (nom fictif désignant la ferme-station, le domaine skiable, les pistes, les télésièges, l’hôtellerie, la restauration) « au creux des sommets charnières » comme le Ballon d’Alsace, où vivent Lorena et Justin, les Ajoncs et son ancienne usine textile, Purgatoire et ses « châteaux (les maisons de maître des industriels du textile), et la vallée de L’Agne ou des Charbonniers.
   Sur les adrets et les envers des vallées, au-dessus des « écarts limitrophes » et des « hameaux éparpillés », existent « des forêts denses de sapins et d’épicéas » et des chemins « parmi les buttes, les pentes, les devers et les revers »…
Le récit a pour toile de fond l’agonie d’une vallée, de l’implantation du textile à l’échelle industrielle (développée par Pelot à travers une mythologie américaine fictive) jusqu’à la fermeture et la destruction des usines, du développement des scieries et des métiers du bois à leur déclin.
Davantage qu’une saga familiale, celle des Bansher et de leurs descendants venus de Louisiane et éparpillés dans la vallée de la Moselle, sur fond d’intrigue policière, ce roman que d’aucuns jugent testamentaire permet à Pelot de faire vibrer les nombreuses cordes de son arc, mêlant, à diverses époques, les sensations du chant répétitif des grillons, les odeurs de la vase morte collée aux cailloux, les bourgeons tardifs enfin éclos d’une belle journée d’avril et, en même temps, les tragédies, les drames, l’écoulement inexorable du temps et les morts qui jalonnent l’existence.  


Braves gens du Purgatoire de Pierre Pelot, 507 pages, éditions Héloïse d’Ormesson, 2019.


Le plan de Saint-Maurice-sur-Moselle : Le village vosgien de Pierre Pelot, ainsi que la liste titrée Saint-Maurice-sur-Moselle dans les romans de Pierre Pelot sont tirés de mon essai (pages 136 et 146) dont la couverture figure ci-dessous. (J’ai seulement ajouté le titre Braves gens du Purgatoire en fin de liste).      

Pour ceux qui désirent en savoir plus sur les termes ou expressions empruntés au patois vosgien par Pierre Pelot dans ce roman, par exemple : les corrues, zaubette, le charri, un boudou, les grumes, se racrapoter, une counaille, la gringeotte…, consulter sur le site Ecrivosges :  
            http://www.ecrivosges.com/auteurs/pelotp/etudes/back2.php