vendredi 27 décembre 2013

Thierry de Royaumont, B.D. mythique dans Bayard, dès 1953 (2)

Thierry de Royaumont, dans Bayard, il y a 60 ans (2)


Les 3e et 4e épisodes du cycle « Thierry de Royaumont » sont les plus intéressants. Le scénario est très travaillé, sans clichés avec des dialogues toujours justes et le dessin de Pierre Forget a gagné à la fois en vigueur, en précision et en souplesse. La variété des plans et des angles est remarquable. L’architecture « vertigineuse » (selon Jean-Pierre Dionnet) des châteaux, des villes,  des coupoles et des minarets et des sites divers (comme le krak des chevaliers) est bien mise en valeur par les plongées et contre-plongées et par un dessin volontiers fantastique, mêlant réalisme et burlesque.

 
3e épisode de la série, L’Ombre de Saïno, prépublié dans Bayard de mars 1957 à mai 1958, devient un album « Ciné-Color » en couleurs, dès 1958. (Pierre Forget alors mène de front la 2e série « Mic et Mac » dans Bayard).  
Thierry a emmené Leïla dans l’immense château de son oncle Enguerrand de Coucy.  
Un complot d’ampleur mondiale est dirigé par Saïno, le maître de la poudre qui a détruit le château de Royaumont. L’homme sans visage incarnant le mal diabolique, dans ses chambres souterraines, a pour but d’asservir toute la France et le récit bascule dans la science-fiction.   


Le 4e épisode, Pour sauver Leïla, prépublié dans Bayard d’octobre 1958 à octobre 1959, ne paraît en album qu’en 1987. L’amie de Thierry est prisonnière du fameux Saïno à la tête d’une société secrète internationale. Toujours épaulé par ses fidèles compagnons, le noble Thierry va se rendre en Libye à Tripoli avant de gagner la cité interdite de Saïno et de ses cinq seigneurs, une cité fantastique construite au creux d’un cirque rocheux. Thierry masqué, après son introduction dans la cité, pour approcher sa bien aimée, doit accepter de subir l’entraînement des saïnos...    
La série aurait pu continuer si le père Sève n’avait pas été appelé en 1959 à diriger le mensuel Rallye Jeunesse. Quant à Pierre Forget, d’ailleurs mal rétribué pour son immense et splendide travail, il est retourné à la gravure des timbres-poste, une tâche où il excellait aussi. 
En 1986, Bayard-Presse réédite L’Ombre de Saïno et l’année suivante paraît enfin l’album inédit Pour sauver Leïla.  
Les éditions du Triomphe ont republié en 6 volumes (deux pour Le Secret de l’émir, 2 pour La Couronne d’épines), les 4 épisodes du cycle entre 1994 et 1997. 
Puisque le cycle s’est un peu brutalement interrompu, souhaitons qu’un habile scénariste actuel de B.D (nous n’en manquons pas) et qu’un tout aussi habile dessinateur aient la bonne idée de poursuivre la série…




Thierry de Royaumont, une B.D. mythique dans Bayard, il y a 60 ans

Thierry de Royaumont, dans Bayard, il y a 60 ans (1)

Pour mon copain Bernard,
parti depuis plus de 3 ans déjà
vers d’autres rivages
et qui aimait aussi cette B.D.


Je ne voudrais pas que l’année 2013 se termine sans que je signale l’apparition mémorable dans l’hebdomadaire Bayard, à partir du mois d’août 1953 et jusqu’en 1959, de la bande dessinée médiévale mettant en scène le « héros » Thierry de Royaumont et ses compagnons hauts en couleurs.
Dès les premières planches parues de ce véritable chef d’oeuvre, le dessin de Pierre Forget (1923-2005) qui va d’ailleurs évoluer et s’améliorer au fil des 4 albums de la série séduit tant les lecteurs que le bouche à oreille attire de nombreux admirateurs. (Le scénariste avait choisi Pierre Joubert, un illustrateur souvent confondu avec Forget mais l’artiste était trop occupé et préférait d’ailleurs l’illustration à la bande dessinée). 


On ignorait, à l’époque que le scénario extrêmement travaillé et original (même s’il s’inspire vaguement du récit Raoul du Vertfaucon, de Max Colomban), évoluant peu à peu vers l’étrange, voire le fantastique, était écrit par le père assomptionniste André (ou Marie-Paul) Sève (1913-2001), caché sous le pseudonyme de Jean Quimper.
Au temps de Philippe Auguste, quand Thierry décide de se rendre en Syrie pour y trouver des preuves de l’innocence de son père Arnaud de Royaumont accusé de trahison en Terre Sainte, il a la chance, en route, de faire la connaissance de compagnons exceptionnels : Galeran, surdoué cultivé, jongleur et prestidigitateur, Sylvain, vrai titi parisien, manuel adroit et débrouillard, plein d’humour mais toujours affamé et Gaucher, le géant colossal au grand cœur.


Le premier épisode : Le Secret de l’émir paru du 9 août 1953 au 10 octobre 1954 (devenu l’album Le Mystère de l’émir, malheureusement imprimé dans une unique et horrible encre verte), est constitué de 124 pages publiées à raison de deux planches par semaine (avec suspense obligé en fin de 2e page). On y fait déjà la connaissance de la charmante et douce princesse brune orientale Leïla, présentée comme la fille de l’inquiétant émir de Homs à l’identité mystérieuse. Pierre Forget met peu à peu en valeur la sensualité de celle qui devient très vite amoureuse de Thierry.   
(Il faut noter une courageuse dénonciation des atrocités commises par les Croisés dans un village musulman de Syrie.)


                 (Réédition en 2 tomes des éditions du Triomphe en 1994)

Le cycle de Thierry se poursuit avec La Couronne d’épines, épisode à la tonalité religieuse, prépublié dans Bayard en 1955 et sorti en un album théorique de 66 planches en 1956 (mais avec 3 planches absentes). Thierry, partant de Constantinople, fait échouer un complot turc dont le but était de s’emparer de la précieuse relique accaparée par le roi des Bulgares mais il devra se méfier du jeune Sandros qui s’est joint à son équipe.   


 Pour Bayard, Pierre Forget avait déjà dessiné Grenouille de la Première des Halles (1951) et Grenouille en Bretagne (51-52) sur un texte de Jean-Louis Foncine, Faucon Noir en 1952-53 (scénarisé par Michel Bernard), Les Sept samouraï (d'après Kurosawa), avant la série Mic et Mac.

Pour en savoir plus, lire :
HOP ! N° 11, N° 12, N¨13, N° 14, 1977 : dossier Pierre FORGET  
HOP ! n° 64, 1994 : Profil FORGET, page 38
HOP ! n° 106, 2005 ; nécrologie de Pïerre FORGET, page 56
Le Collectionneur de Bandes dessinées n° 34, 1982, La Bonne Presse (2), p. 8-10
Télérama n° 1854, 31/07/85 : Mon royaume pour une B.D. !Michel Daubert, p. 24-25 



mercredi 11 décembre 2013

Henri Laurens et la collection "Plume et crayon"

Quand l’éditeur Henri Laurens, au début du XXe siècle, se tourne vers l’enfance grâce à sa collection "Plume et crayon"…

Dans le Cercle des collections disparues", je suis heureux de faire entrer aujourd'hui "Plume et crayon".

  
Au début du XXe siècle, l’éditeur parisien Henri Laurens (1861-1933) avait déjà lancé la collection "Les Chefs-d’œuvre à l’usage de la jeunesse", illustrée par Robida (Les Voyages de Gulliver, 1904), Gustave Fraipont (Robinson Crusoé, 1906) ou Henry Morin (Les Contes de Shakespeare, 1913). Toujours soucieux d’esthétique, privilégiant plutôt l’illustration que le texte, il demande à des artistes renommés à l’époque (peintres, lithographes, dessinateurs, illustrateurs, voire caricaturistes…), de fournir « texte et dessins » pour sa nouvelle collection "Plume et crayon", abondamment illustrée et accessible à la jeunesse. Les ouvrages de tous ces artistes qui n’œuvraient guère pour les adultes sont agrémentés d’illustrations en noir et blanc et de planches en couleur. 




C’est ainsi qu’Albert Robida (1848-1926) réalise trois romans historiques : Les Assiégés de Compiègne (1905), L’Île des Centaures (1912) et Le Trésor de Carcassonne (1923). Les jeunes trouveront sans doute plus distrayants et proches d’eux, les ouvrages d’Henri-Louis Avelot (1861-1933) tels que Le Tour du monde de Philibert (vers 1908), Les Bonnes idées de Philibert (vers 1912) ou Arthur veut… Arthur ne veut pas, fournissant des images gaies et humoristiques. Les petits ont pu se délecter des histoires concoctées par Lucien Métivet (1863-1932) : Jean-qui-lit et Snobinet (1909) et de celles des fillettes Délurette et Lambine. Les jeunes lecteurs et lectrices, amateurs de fantaisie et d’histoires d’animaux humanisés ont pu apprécier Clown, La Poule à poils (1904) et surtout Le Boy de Marius Bouillabès (il s’agit d’un éléphant dessiné avec beaucoup d’humour et le texte intégral illustré est lisible sur Wikisource), trois ouvrages dus à Auguste Vimar (1851-1916) et sans doute très appréciés.


Le dessinateur belge (naturalisé Français) Gustave Fraipont (1849-1923), connu, par exemple, pour ses ouvrages sur Les Vosges et sur Le Jura, use de pédagogie et de sérieux pour écrire et illustrer André le Meunier, Yves le marin et Nouvelles histoires sur de vieux proverbes. C’est bien un récit d’anticipation que propose Henriot (alias Henri Maigrot, 1857-1933) avec Paris en L’An 3000 (en 1910). Après le passage d’un météore, les grandes villes dont Paris sont couvertes d’une épaisse couche de glace.


D’autres artistes ont réalisé un unique ouvrage. Par exemple, Louis Morin (1855-1938, Grand’mère avait des défauts !), David Burnand (1888-1975, Monsieur de la Tracassière). Les Mémoires d’un perroquet (particulièrement voyageur) de Pierre Noury (né en 1894, connu comme illustrateur des grands textes littéraires), bénéficie de quatre dessins en couleur hors-texte, en plus des gravures en noir et blanc. Cette collection n’a sans doute été accessible qu’aux enfants des familles aisées et elle semble généralement ignorée des histoires du livre de jeunesse.

Ce texte constituera la page 56 de la nouvelle édition 2013 de l'essai :
Fictions et journaux pour la jeunesse au XXe siècle