jeudi 17 février 2011
Histoire du polar jeunesse Interview de l'auteur par Paul Hard Junior
Au coeur de l'illustration, couverture du livre par Renaud PERRIN
Histoire du polar jeunesse Interview de l'auteur par Paul Hard Junior
Pourquoi avoir choisi d’écrire cet essai ?
Des circonstances extérieures ont motivé et encouragé ce choix.
En mai 2010, les organisateurs du salon « Roman noir en pays blanc » qui se déroule dans la station touristique de La Bresse, dans les Hautes Vosges (une ville dont je suis originaire), ont choisi d’intégrer davantage le polar jeunesse dans leur manifestation de novembre 2010 et m’ont demandé une documentation en vue de la préparation d’une exposition.
De la fourniture d’une simple documentation à l’écriture d’un livre, il y a tout de même une marge ?
Non, parce que je me suis pris au jeu et j’ai continué à dérouler pendant des mois une pelote sans fin. En fait, j’ai approfondi un domaine que je connaissais déjà puisque j’y consacre 40 pages dans Littérature de jeunesse et presse des jeunes au début du XXIe siècle, en composant un montage chronologique de plus de 500 images sur les héros et héroïnes du polar, dans les romans, les bandes dessinées, les collections jeunesse. L’équipe du Salon a pu ainsi faire son choix et confectionné des panneaux d’ailleurs très réussis débouchant sur un quiz pour les jeunes.
Mais pourquoi choisir plus précisément l’Histoire du genre plutôt qu’une présentation thématique ?
Alors que l’histoire du roman policier adulte a maintes fois été contée, celle du polar jeunesse n’existait pas encore, sauf sous des formes très résumées et trop succinctes.
J’ai donc voulu traiter un sujet non encore écrit en abordant aussi bien les fictions romanesques que la bande dessinée.
Pourquoi cette Histoire n’avait-elle jamais été écrite ?
Parce qu’elle se heurte depuis longtemps à plusieurs obstacles. Souvenons-nous de l’absence de reconnaissance et de prise en considération du genre policier juvénile pendant une très longue période. Même le policier destiné aux adultes a longtemps été considéré comme un « mauvais genre ». Les récits policiers « jeunesse » ont dû se cacher longtemps sous le couvert des récits d’aventure, suspects parce que considérés comme étant purement distractifs, sans ambition éducative, voire contraires à une bonne éducation.
N’existe-t-il pas d’autres raisons puisque le mépris durable à l’égard du roman policier n’a pas empêché l’édition de plusieurs Histoires du policier pour adultes ?
Pour oser s’attaquer à un tel sujet, admettons qu’il faut déjà connaître l’histoire détaillée de l’édition et des collections « jeunesse », non seulement celles qui sont spécifiques au polar mais aussi celles qui ont su intégrer le genre, d’abord clandestin et masqué puis en intégrant parfois l’étiquette policière. Comme j’avais déjà consacré ces dix dernières années trois essais à l’histoire de la littérature jeunesse, j’ai cru que j’étais suffisamment armé pour tenter cette aventure. Mon intérêt pour la bande dessinée m’a permis d’insérer des tranches chronologiques évoquant la riche palette des personnages illustrant le genre, des Pieds Nickelés, apparus en 1908, à certains personnages de mangas, comme Détective Conan.
Quelles sont les grandes étapes romanesques de cette Histoire ?
C'est difficile de les résumer.
Compte tenu de l’attitude moraliste des censeurs de tout bord, il y a d’abord la période clandestine et souterraine de lectures souvent faites en cachette. Aux lectures des œuvres illustrant des personnages empruntés aux adultes, Sherlock Holmes de Conan Doyle, Arsène Lupin de Maurice Leblanc, Rouletabille de Gaston Leroux se sont jointes celles de romans populaires bon marché, ceux par exemple de la collection « Junior police ».
Au cœur des années 50, déboulent chez Hachette les séries à « mystères » anglo-saxonnes (Club des cinq et Clan des sept d’Enid Blyton, Alice de Caroline Quine) puis françaises (Michel de Georges Bayard, Les Six compagnons de Paul-Jacques Bonzon, avant Fantômette de Georges Chaulet…).
Ces séries souvent stéréotypées continuent de se développer au cours des années 60, avec Langelot, Les Trois détectives, Jacques Rogy, Les Frères Hardy… et conviennent à ceux qui défendent l’application stricte de la loi de post-censure de juillet 1949. Mais la mort reste tabou et les mots « assassinat », « meurtre », voire « pistolet » ou « revolver » sont bannis des titres.
Comment la bande dessinée a-t-elle contribué à l’expression du genre ?
A toutes les périodes, elle a été active et présente. D’abord grâce surtout aux détectives venus d’Amérique : Dick Tracy, Charlie Chan, Agent secret X9, Spirit… Après la guerre de 39-45, les journaux franco-belges proposent de nombreux héros ou détectives (Tif et Tondu, Blake et Mortimer, Gil Jourdan, Ric Hochet, Lefranc et la presse catholique fait connaître Pat’apouf et le détective Pat’Rac).
La première collection qui affiche le policier, c’est « Jeunesse poche », chez Rageot dès 1970. On y voit paraître les enquêtes de Sans Atout, le collégien créée par Boileau-Narcejac. Grâce aux collections nées chez Syros, - on peut parler de la révolution « Souris noire »-. A partir de 1986, le polar est peu à peu admis dans le monde enseignant jusqu’à l’adoption de liste officielle de lectures dans les collèges puis les écoles primaires.
Au cours des années 90 et au-delà, les frontières des âges et des genres sont franchies. Le polar s’acoquine avec le roman fantastique, le récit historique et il apparaît dans l’album illustré (John Chatterton, Rouletapir), le manga tout en continuant de s’enrichir grâce à la bande dessinée (Jérôme K Jérôme Bloche, Adèle Blanc-Sec, Jack Palmer, l’Inspecteur Bayard, Soda, Léo Loden…).
N’a-t-on pas l’impression qu’on voit surtout apparaître des personnages de séries ?
C’est le danger d’une présentation sommaire de cette histoire ou du contenu du livre. En fait, à l’intérieur de chaque période sont présentés des romans majeurs ou singuliers, représentatifs du polar jeunesse. Dans les années 30, il faut citer Emile et les détectives d’Erich Kästner, Les Disparus de Saint-Agil de Pierre Véry. Au cœur des années 50 paraissent Six chevaux bleus d’Yvonne Escoula et surtout Le Cheval sans tête de Paul Berna. Pour les années 60 retenons au moins Signé : Alouette de Pierre Véry, Mystère à Carnac de Michel-Aimé Baudouy, Six colonnes à la Une de Pierre Gamarra… Dans la décennie suivante, isolons L’As des détectives d’Astrid Lindgren, Catchpole Story de Catherine Storr, Drôle de samedi soir de Claude Klotz. Les énigmes policières devienne plus réalistes au cours des années 80 avec Blues pour Marco d’Olivier Lécrivain, ou Les Poings serrés d’Olivier Lécrivain, avant même la création très novatrice de la collection « Souris noire ».
Pourquoi la création de « Souris noire » marque-t-elle un changement capital ?
Dans les petits livres de la collection, des auteurs abordent l’écriture de récits contemporains, pour les sept-onze ans (ou plus), ce qui constitue un changement d’autant plus majeur pour le policier juvénile que l’on fait participer les meilleurs auteurs du genre.
Joseph Périgot est allé chercher des auteurs d’aujourd’hui, les Jonquet, les Daeninckx, Quint ou Benacquista, pour écrire sur des sujets d’aujourd’hui. Des thèmes nouveaux, jusqu’alors exclus, apparaissent même si leur violence est édulcorée : meurtre, tueur, prise d’otages, sévices familiaux. D’autres éditeurs désormais plus hardis, convaincus qu’on peut s’inspirer de la tradition du roman noir américain, avec des histoires qui ne finissent pas toujours bien, vont enfin prendre en compte les réalités sociales, accessibles à la jeunesse et des collections spécifiques, représentant tous les types de récits policiers, vont voir le jour : « Cascade policier », « Page noire », bien avant « doAdo noir » « Oskar polar » ou « Chambres noires »…
On a beaucoup critiqué les enfants détectives des énigmes policières des années 50-60. Existent-ils encore dans les séries actuelles ?
Ils n’ont pas disparu. J’écris dans l’essai, page 231 : « L’enfant enquêteur, très critiqué en raison de l’invraisemblance de situations policières répétées (…) n’a pas quitté le monde du polar juvénile. Pour davantage de vraisemblance, on l’a souvent imaginé fils ou fille, ou parent proche, d’un inspecteur ou d’un commissaire de police. N’a-t-on pas rencontré les fils de policier, Benjamin « fis de flic », Ludo et Hondo, le fils adoptif, les filles d’inspecteur, de commissaire ou de capitaine de police, Julie, Mélissa et Inès (tandis que Calixte seconde sa sœur aînée policière) ?
En outre, les détectives et policiers adultes (Nils Hazard, Lapoigne, Yann Gray, Logicielle…) sont maintenant plus fréquents et mieux acceptés.
Quelles collections policières juvéniles sont encore bien vivaces ?
Si « Lune noire et « Page noire » ont disparu, on repère facilement, « Souris noire » et « Rat noir » chez Syros, « doAdo noir », au Rouergue, « Heure noire » chez Rageot, « Courants noirs » chez Gulf Stream et « Chambres noires » chez Mango.
Les autres collections policières encore vivaces s’appellent « Wiz suspense », chez Albin Michel Jeunesse et « Oscar polar ». Observons les couvertures des collections de poche multigenres pour identifier le genre policier, pour « Le Livre de poche jeunesse », « Castor Poche », « Folio junior » ou « Pocket ».
Des collections généralistes, comme « Tipik » chez Magnard, « Hors-piste » chez Gallimard, « Médium » et « Neuf » à L’École des loisirs, « Nathan poche », « Milan poche », nécessitent un examen plus attentif, comme les catalogues des éditeurs : Actes Sud Junior, Bayard, Casterman, Flammarion, Fleurus, Grasset Jeunesse, Hurtubise, Le Rocher, Plon, Sarbacane, Le Seuil et Thierry Magnier…
Quels héros du polar prouvent que le polar s’acoquine avec le récit fantastique ?
Le premier qui vient à l’esprit c’est le Capitaine Nox de Jean Alessandrini. Retenons surtout Ebenezer Graymes, commandeur des abîmes de Michel Honaker. Il y a aussi Edgar Flanders, détective de l’étrange de Noël Simsolo, Hermux Tantamoq de Michel Hoeye, les Sœurs Grimm de Michael Buckley, les héros de Phaenomen d'Erik L'Homme…
Roman policier et roman historique semblent également assez souvent associés
Oui, les personnages sont trop nombreux pour qu’on les cite tous. Limitons-nous au Moyen Âge pour nommer Amaury Lasnier, Guy de Servières, Garin Trousseboeuf, Millefeuille et Maître Wen...
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