mercredi 21 avril 2010

Littérature de jeunesse et presse des jeunes vu par Véronique Delarue


Illustration et maquette de la couverture : Renaud Perrin

Voici une vision critique d'ensemble de l'ouvrage déjà évoqué précédemment.

Article extrait de la revue INTER-CDI n° 218
Culture pro
Véronique Delarue


Raymond Perrin. - Littérature de jeunesse et presse des jeunes au début du XXIe siècle : Esquisse d’un état des lieux, enjeux et perspectives. - L’Harmattan, 2008. - 582 p. - Bibliographie, table des matières, index des noms de personnes. - ISBN 978-2-296-05257-4 : 43 euros. Disponible en ebook sur : www.editions-harmattan.fr : 30,10 euros.
Raymond Perrin, ancien professeur documentaliste, nous entraîne, avec ce deuxième ouvrage consacré à la littérature de jeunesse [1], au cœur de l’édition jeunesse. Ce nouvel essai est une véritable mine d’informations : un incontournable outil de formation et de référence sous forme d’un état des lieux de l’édition, des événements éditoriaux, des genres et des divers supports de la littérature de jeunesse (fiction) de 2000 à 2006.
L’édition des ouvrages et des journaux pour la jeunesse, véritable industrie avec ses contraintes commerciales, se porte plutôt bien. Depuis plus d’une vingtaine d’années, on constate le nombre croissant d’éditeurs qui créent un secteur jeunesse ou lancent de nouveaux journaux, même si leur existence est parfois éphémère et leur qualité inégale. L’ouvrage n’ignore aucun genre romanesque, du roman d’aventure au récit historique en passant par le policier, la science-fiction, le merveilleux, le fantastique et la fantasy, y compris le manga. Il intègre également la presse des jeunes dont il suit l’évolution tout au long du siècle. Le livre pour enfants est fragile et vulnérable. Aujourd’hui ce n’est plus seulement comme autrefois, par intérêt pour les enfants et les adolescents, que des éditeurs, séduits par un marché en pleine croissance, créent un secteur jeunesse. Engagée dans une politique de rentabilité, l’édition n’hésite pas à voir au plus bas les tirages de ses ouvrages, au profit de quelques best-sellers auxquels elle réserve une publicité tapageuse et un marketing efficace. Ces succès de l’édition fascinent les médias plus par l’argent qu’ils génèrent que par leurs qualités esthétiques et littéraires, et participent à maintenir dans l’ombre collections et éditeurs qui résistent héroïquement à la pression des modes en privilégiant la qualité.
Une culture à deux vitesses
Les ouvrages en grand format, de plus en plus nombreux, entretiennent une ambiguïté quant à l’âge des lecteurs auxquels ils s’adressent et créent une culture à double vitesse. Les familles modestes ne peuvent acheter les fictions à 15 ou 30 $ et doivent attendre leur sortie en collection de poche, deux à trois ans plus tard, si l’éditeur en a décidé ainsi ! Si leur situation géographique n’est pas favorable, les lecteurs moins fortunés doivent se contenter des interminables séries bon marché, bien en évidence dans les supermarchés d’où beaucoup de « bons » éditeurs jeunesse sont souvent absents. L’auteur remarque que les albums et les beaux livres restent le traditionnel cadeau de fin d’année et les trois derniers mois de l’année accusent de loin les meilleures ventes.
Après ces propos liminaires suit une chronologie des fictions jeunesse du XXe siècle : une rétrospective rapide sur le siècle précédent [2] sous forme de liste ne retenant que dix titres « incontournables » par an. L’auteur précise toutefois que le tri fut parfois douloureux et que chaque titre est cité comme étant représentatif d’une époque et d’un contexte. Cependant, le choix individuel est souvent largement tempéré par la citation de titres imposés grâce aux prix [3] obtenus qui font autorité depuis des années. Un aperçu pour tenter de rendre compte de la richesse d’un univers littéraire qui a toujours été négligé. La partie suivante, réservée aux événements éditoriaux, concerne les rachats, les fusions, le pouvoir des groupes éditoriaux mondiaux et, surtout, les conséquences sur le respect des règles de la concurrence. L’auteur souligne que, dans cette situation éditoriale mouvante et instable, des outils, si imparfaits soient-ils, sont plus que jamais nécessaires pour appréhender la lecture d’un paysage de plus en plus diversifié, de plus en plus complexe, pour opérer une sélection et tenter de conserver des « coups de cœur » qui n’auront rien à envier à la littérature générale.
30 ans en 2007 ! La collection Folio junior, devenue « modèle de poche » est vite imitée : son format ainsi que la publication de textes en version intégrale. Une réussite d’autant plus remarquable que Gallimard ne disposait pas de la logistique des éditeurs implantés depuis longtemps dans le domaine. Une innovation capitale qui, après les classiques, étoffera le fonds en s’ouvrant aux nouveautés. Aujourd’hui plus que jamais, la collection conserve et entretient un fonds de qualité, mêlant fonds ancien, régulièrement enrichi, et fonds contemporain. La collection Livre de poche jeunesse, chez Hachette – à laquelle pas moins de onze pages ont été consacrées –, créée deux ans après sa grande rivale Gallimard, veut représenter tous les genres et tous les styles, mais surtout être un palier avant la littérature adulte. En 2006, la collection comptait plus de 1 200 titres en catalogue. Elle profite d’une bonne implantation dans le milieu enseignant par le biais des manuels, et d’une très large diffusion dont elle a la maîtrise. En 1980, arrive la collection Castor poche chez Flammarion. Toujours en bonne santé, elle se décline aujourd’hui selon les âges et les genres. Son catalogue dépassait les 1 000 titres en 2006.
Après une brève histoire des collections jeunesse avec un bilan en chiffres pour chaque année, les résultats de certains prix littéraires, l’auteur s’intéresse à l’album, en rappelant l’histoire depuis les origines, insistant sur les étapes majeures, notamment celles des années 1980-1990, et soulignant la qualité et la variété de la production française dont la renommée est portée par de nombreux éditeurs : L’École des Loisirs, Seuil Jeunesse, Albin Michel, Gallimard, Actes Sud, Le Rouergue, Thierry Magnier, Rue du Monde, Sarbacane, L’Atelier du Poisson soluble, Grasset.
En ce qui concerne la scolarisation accentuée de la littérature de jeunesse, l’auteur n’oublie pas d’en signaler l’influence en précisant les aspects incitatifs, mais aussi les limites des listes de références. Rien n’est laissé au hasard, les différents genres fictionnels sont analysés. Chacun peut y suivre le panorama de son genre préféré : roman historique, énigme policière, récit fantastique ou de science-fiction, roman d’aventure, etc. Dans le pertinent chapitre XII sont abordés les « romans pour ados », une littérature aux contours flous définie par son public plutôt que par son genre, aux thématiques parfois dérangeantes, qui n’hésite pas à aborder la sexualité, les relations familiales, la violence, l’adolescence et qui possède ses propres collections Médium, Scripto, Tribal, Les Uns les autres, doAdo, Babel j…, dans lesquelles on retrouve de nombreux auteurs qui ne publient pas seulement pour la jeunesse.
Une bibliographie, un index des noms propres (près de 3 000 noms d’auteurs, d’illustrateurs, de scénaristes, d’éditeurs et de directeurs de collections) facilitent la consultation. Un véritable travail de mémoire. Malgré quelques commentaires – superflus – de l’auteur de-ci de-là, il faut retenir de cet ouvrage qu’il est incontestablement complet, remarquable et très bien documenté : un outil indispensable à la formation professionnelle !
Notes
[1] Le premier, Un siècle de fictions pour les 8 à 15 ans (1901-2000), proposait déjà un aperçu original et pertinent de l’ensemble de la production. Disponible en format .pdf sur www.editions-harmattan.fr
[2] Pour plus d’informations, se reporter à l’ouvrage Un siècle de fictions pour les 8 à 15 ans, du même auteur. L’Harmattan, 2005.
[3] Prix Jeunesse des années 30, prix Sorcières, Tam-Tam, Baobab, Les incorruptibles…

N.B. : La note 2 n'est plus d'actualité puisque Fictions et journaux pour la jeunese au XXe siècle (L'Harmattan, 2009) est une version grand format largement revue et très augmentée (plusieurs centaines de milliers de signes en plus) d'Un siècle de fictions.

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