jeudi 23 février 2012
1952 LA PRESSE DES JEUNES (2)
Les effets de la loi de juillet 1949 : censure, sabordage et autocensure
L’année 1952 est intéressante à étudier du point de vue de la moralisation et de la surveillance exercée sur le journal pour jeunes.
La loi de postcensure, voulue depuis longtemps par les ligues de moralité, les éducateurs de tendances religieuses et politiques souvent antagonistes, voire par les dessinateurs redoutant la concurrence des bandes dessinées étrangères, date certes de juillet 1949. Elle a nécessité la lente mise en place d’une commission de contrôle et de surveillance dont l’un des rares et premiers rapports connus, sur la mise en œuvre de la loi et les remontrances adressées aux éditeurs, date de 1951.
Contrairement à une idée admise, la censure s’est exercée sur la presse juvénile au cours de ces années. Le livre, lui n’est pas inquiété sans doute parce que le texte bénéficie d’un préjugé favorable. C’est si vrai que la commission « oublie » les récits racistes contemporains, au point qu’un ajout antiraciste à la loi de 1949 ne voit le jour qu’en 1954. Comment a-t-on pu tolérer à l’époque que paraissent des albums affublant un Noir du nom de Bamboula ? (Ce nom apparaît aussi, hélas, dans un récit des éditions Flammarion « pour les jeunes »). Combien de personnes de couleur pourraient témoigner des souffrances infligées durant des décennies par ce surnom imbécile ?
Heureusement, le récit de l’anticolonialiste Andrée Clair, MoudaÏna ou deux enfants au cœur de l’Afrique, Prix jeunesse 1952, offre un nécessaire contrepoids. Faisons le point sur les faits réels de censure exercés sur la presse juvénile, d’autant surveillée qu’elle est le loisir majeur de la jeunesse.
La traduction de cette surveillance tatillonne, c’est la disparition de publications qui préfèrent souvent se saborder plutôt que de subir des sanctions… aux effets mortels.
La Librairie Moderne/S.A.G.E, sans doute affaiblie par la mort de son dirigeant, le magnat de la presse, Ettore Carozzo, (en novembre 1951) abandonne la "Collection Appel de la jungle" (1949-1952 où apparaissaient Raoul et Gaston et Jim la Jungle et la "Collection Aventures et mystères" (1947-nov. 1952) « coupable » de publier les histoires, jugées « invraisemblables » par les éducateurs, des super-héros Mandrake (le Magicien) et Le Fantôme (du Bengale). Petits Moineaux, pourtant bien inoffensif mais atteint par une mise en demeure en 1952, s’interrompt en décembre de la même année. La S.A.G.E. n’a pas fini de se faire du souci car Raoul Dubois ne ménagera pas ses critiques assassines pour Le Petit Shériff, Nat le petit mousse et Pecos Bill. Aux Editions Ray-Flo, publiées sur la Côte d’Azur, disparaissent en 1952, Jean Lynx et Jim Cartouche. Les mensuels Casse-Cou et Dynamic, il est vrai très médiocres, malgré des B.D. des frères Giordan, mal édités par les Editions de la Foux, de Draguignan, cessent aussi de paraître en 1952. Il faut y ajouter la mort des illustrés des Editions familiales et féminines de Montrouge : Le Corsaire et Cow-Boy, des « illustrés » peu regrettés. Les éditions Pierre Chott sont désormais une cible privilégiée. Elles ne devront pas se contenter de l’arrêt en 53 de la parution de P’tit Gars. Si Big Bill le casseur disparaît en 1954, la justice le condamne … en 1961. Ne sont pas les seules cibles les récits complets ou petits formats, subissant les foudres et l'ostracisme des éducateurs de tout bord, prêts à dresser les listes des coupables « à déconseiller », listes distribuées sous le porche des églises. Nombreuses sont les personnes disposées à détecter dans les cours de récréation, les présences suspectes de ces illustrés, (interdites jusqu’en 1976), coupables de « distraire » sans « éduquer », pour les confisquer.
Le journal illustré Tarzan, sans cesse harcelé en 1952 et 1953 par la commission de contrôle abdique devant le tollé des éducateurs et de certains lettrés outragés, comme Armand Lanoux, par cet « homme singe » « suspect ». L’acharnement entêté de l’instituteur communiste Raoul Dubois, membre (suppléant mais zélé), de la commission de contrôle pour les Francs et franches camarades et continuel rapporteur de Tarzan, finit par payer. Pour donner l’estocade finale, il menace de quitter la commission et reçoit le soutien des autres membres, hormis du dessinateur André Galland. Après ces campagnes de dénigrement et l’hostilité des éducateurs, Del Duca arrête son journal qu’il ne peut maintenir sous sa forme.
Donald, né en 1947, vilipendé pour le maintien des B.D. Mandrake et Luc Bradefer, personnages doublement coupables de disposer de pouvoirs surhumains et de venir d’Amérique, publie aussi en feuilleton Le Vagabond des mers d’Howard Pease mais ces jours sont comptés en 1952. En fait, on ne comprend rien aux travaux de cette commission si l’on oublie son hostilité générale à toute bande dessinée, (seulement tolérée dans les journaux à dose homéopathique quand elle est noyée au milieu d’autres rubriques jugées à priori plus éducatives quel que soit leur contenu, même si le journal publie des textes insipides et à l’eau de rose, l’écrit, quel qu’il soit, bénéficiant d’un préjugé favorable). L’incompréhension et le dénigrement systématique dont est victime la bande dessinée est manifeste, lorsque, successivement, à de périodes très différentes mais avec la même obstination (et qu'on ne m'accuse pas bêtement d'amalgame, comme l'a fait jadis une bibliothécaire télécommandée, je décris une chaîne chronologique), on voit Gaston Courtois, Mathilde Leriche et Simone Lamblin conseiller aux auteurs d’expliciter le contenu des ballons par des textes additionnels placés sous l’image ! Thierry Crépin, (dont l’ouvrage Haro sur le gangster a largement favorisé cette analyse), rappelle l’insistance de Simone Lamblin « sur le danger de l’absence de texte, remplacé par le procédé des ballons » (sic) ! La même détestation qui atteint la B.D. touche aussi la science-fiction, accusée de détourner l’enfant du sens des réalités, surtout si elle n’a pas l’aspect pseudo-scientifique des anticipations à la Jules Verne.
L’indulgence n’est pas de mise, même pour les auteurs et dessinateurs qui travaillent dans les journaux bien considérés. Par exemple, le talentueux Jean Cézard qui dessine Monsieur Toudou dans Francs-Jeux est l’objet de tracasseries pour sa série exotique et fantastique Yak, retirée de Brik-Yak dès 1952. Le romancier Albert Bonneau, auteur d’un pieux scénario dans Cœurs vaillants, est rappelé à l’ordre pour ses histoires policières dans Petit Riquet détective.
En revanche, il faut sans doute attribuer à ses qualités de syndicaliste de la presse, (plus efficace qu’Alain Saint-Ogan), la mansuétude dont tout le monde fera preuve à l’égard du caméléonesque Auguste Liquois, passé des écrits fascisants du Téméraire à une participation remarquée au journal Vaillant… et membre de la commission de contrôle jusqu’en 1954.
Rappelons que les membres de la commission, outrepassant leur rôle de censeurs, sont intervenus dans le processus de création des auteurs et des éditeurs. Dès 1951, ils transmettent aux éditeurs des consignes précises sur la représentation souhaitable des personnages, les limites de « l’affabulation » tolérable et des instructions détaillées recommandant la variété des rubriques, une sorte de nouveau « catéchisme » de la presse juvénile !
Les journaux juvéniles sont pourtant prudents en ce qui concerne des thèmes qui prévalaient avant la guerre 39-45. Le culte du héros, en particulier militaire, est toujours d’actualité. L’anti-héros n’existe pas en 1952, sauf pour les lecteurs des Pieds Nickelés ou de Bibi Fricotin, lectures méprisées ou condamnées par les éducateurs de tout bord. Dès 1952, ce ne sont pas seulement les effets des remarques, voire des menaces de sanctions affectant une certaine presse juvénile qui sont significatifs. Il faut soupeser les phénomènes d’autocensure et surtout les innovations à caractère éducatif que les éditeurs se sentent obligés d’apporter. Rien d’étonnant à ce que Georges Pérec évoque les rubriques : « Vrai ou faux ? », « Le saviez-vous », « Incroyable mais vrai », dans son livre Je me souviens en 1978. Elles résultent souvent de la loi de 1949 et veulent donner au journal une apparence éducative, destinée à amadouer les censeurs. Le journal de Spirou, et bientôt Tintin, publient des bandes dessinées s’attachant au vécu. Si elles privilégient davantage la geste exemplaire, souvent mythique, de héros passés ou contemporains plutôt que la vérité historique, elles ont marqué les lecteurs de l’époque, comme « Les Belles histoires de l’Oncle Paul ».
L’évocation de l’actualité est soumise à une autocensure consensuelle pour tous les journaux juvéniles de l’époque. Pas question d’évoquer des affaires criminelles comme l’affaire Dominici. Même l’affaire Finally, concernant des enfants réclamés par leur famille israélite, reste ignorée. Le journal Vaillant qui ne consacrera pas une ligne à la mort de Staline en mars 53 accepte le courrier des enfants solidaires d’Henri Martin, emprisonné pour son opposition à la guerre en Indochine. On préfère s’en tenir aux grands événements mondains ou spectaculaires et aux exploits sportifs. La pseudo prise en compte de l’actualité n’a donc rien à voir avec ce que montrent, avec les précautions d’usage, les journaux juvéniles actuels.
P.S. : Dans les thèmes proposés par le journal Vaillant à la fin de l'année 1952, n'apparaît pas le récit policier, même si le genre est bien présent dans le journal avec "Hourra Freddi". En revanche, l'anticipation est bien là (alors qu'on évite soigneusement l'expression "science-fiction)". Le roman historique paraît le plus représenté : bande préhistorique "Pour la horde" de Jean-Claude Forest (hélas pas du tout crédible du fait de la cohabitation d'humains et d'animaux préhistoriques), "Fils de Chine" de Paul Gillon", "Yves le Loup", bande médiévale Bastard, "Les Compagnons de la section noire" et "Jean et Jeannette" à l'époque de la Résistance...
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